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1/5 à 34 centimes 1/2 le mètre). Ce sont évidemment des tissus rustiques destinés aux pauvres du pays ou aux peuples demi-barbares de l’Asie. Plus cette fabrication est grossière, plus l’usage du coton est avili, et plus on y emploie de matière première : c’est là qu’est le danger. On peut prévoir que dans cinq ans les États-Unis consommeront plus d’un million de balles, le tiers des meilleures récoltes obtenues jusqu’à ce jour. Et si la révolution qui s’accomplit en Chine devait avoir pour effet d’ouvrir largement aux Américains ce vaste empire où ils se sont déjà insinués, si leur génie mercantile s’enflammait à l’idée de conquérir une clientèle de 300 millions d’êtres humains, ce serait bien autre chose! Qui sait s’ils n’aviseraient pas aux moyens d’écarter leurs concurrens en entravant l’exportation de la matière première? Les états planteurs seraient peut-être moins opposés à ce projet qu’on ne le suppose, car on s’y passionne pour la fabrication : déjà plus de 100,000 balles y sont confectionnées, et il a été question d’appliquer les esclaves à la filature.

L’Angleterre suit ces mouvemens avec une extrême anxiété. Après les sacrifices peut-être excessifs qui viennent d’être faits pour accroître les forces productrices du pays ; l’insuffisance de la matière première serait une calamité publique. Cette dépendance industrielle est une gêne pour la politique nationale à l’égard des États-Unis. Les hommes d’état en gémissent, et ils accueillent avec empressement les projets tendant à affranchir leur pays de ce qu’on a appelé la tyrannie des cotons d’outre-mer. Les Indes orientales ne sont pas le seul champ d’expérimentation; d’autres essais ont été faits à Malte, à Sainte-Hélène, dans la Guyane et les Antilles anglaises, en Australie, sur divers points des côtes africaines, et si les événemens qui se préparent en Turquie amenaient un état de choses tel que les chrétiens fussent autorisés à exploiter le sol ottoman, on verrait probablement les Anglais manœuvrer de manière à faire de l’Egypte une vaste cotonnière à leur usage.

Ces éventualités menacent doublement l’industrie française, de la part de l’Amérique et de la part de l’Angleterre. La France a pour ressource son Algérie; mais saura-t-elle l’utiliser?


II. — LE COTON EN ALGÉRIE.

Les Américains se rappellent avec un orgueilleux sourire qu’en 1609, on publia un livre destiné à faire connaître les ressources du Nouveau-Monde, et qu’on étonna fort les colons en affirmant dans ce programme qu’on pourrait récolter en Amérique autant de coton qu’on en produisait à cette époque sur le littoral de la