Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

frivoles. Quant aux intelligences élevées, elles n’ont pas à s’en inquiéter, car elles ne cherchent dans l’histoire que l’expression des idées et des passions humaines. La couleur des faits n’est pas ce qui les séduit. Nous n’avons pas à redouter qu’elles oublient l’homme pour le costume ou l’ameublement. Le temps de ces badinages est aujourd’hui passé; l’archéologie cède le pas à la philosophie. La foule ne se contente pas du plaisir des yeux, elle demande des émotions et des enseignemens.

Quant à la comédie, il semble que nous n’ayons pas le droit de nous plaindre. Il n’y a pas une nation en Europe qui produise, bon an, mal an, une telle quantité d’ouvrages consacrés à la peinture des vices et des ridicules. Quittez la France, et vous trouverez en Allemagne, en Italie, en Angleterre, en Espagne, les plaisanteries applaudies sur nos théâtres de boulevard. L’Europe accueille avec empressement les moindres parcelles de l’esprit français. Serons-nous plus sévères que l’Europe? Nous reconnaissons volontiers tout ce qu’il y a d’ingénieux et d’égrillard dans ces improvisations de chaque jour; mais nous ne saurions les accepter comme des œuvres dignes d’une étude attentive. Nous avons la comédie de mœurs et la comédie de fantaisie; à côté des ridicules éphémères esquissés par un crayon habile, nous avons des boutades hardies qui relèvent du seul caprice, qui égaient les plus moroses pendant une soirée. Avons-nous la comédie de caractère, la seule qui mérite vraiment le nom de comédie, qui réunisse le plaisir à l’enseignement? Qui oserait le dire? L’esprit le plus bienveillant ne saurait accepter pour héritiers de Molière les écrivains qui ont pris aujourd’hui possession de la scène comique. On dit et on répète à satiété que la comédie de caractère est une forme vieillie, qu’il faut y renoncer sous peine de se condamner à d’éternelles imitations. Pour ma part, je suis loin de partager cet avis : je crois fermement qu’il est permis de revenir à la comédie de caractère sans copier le XVIIe siècle, sans copier Plaute et Térence, que Molière n’avait pas négligés. Sans doute les types ne sont pas innombrables: mais ils se renouvellent et se rajeunissent. Les vices et les ridicules que Molière semble avoir épuisés ne sont pas aujourd’hui ce qu’ils étaient sous Louis XIV. Si le fond est demeuré le même, l’apparence a changé. La comédie telle que la comprenait Aristophane est aujourd’hui impossible parmi nous pour des raisons que je n’ai pas besoin de déduire. La comédie de mœurs, attrayante et gaie, j’en conviens, représentée de nos jours par des œuvres ingénieuses dont je n’entends pas contester le mérite, n’offre pourtant qu’un intérêt secondaire. Il faut donc revenir à la comédie de caractère. Est-ce à dire que je conseille aux poètes de notre temps de calquer le Misanthrope et les Femmes savantes, et de réduire leur tâche à la reproduction servile des pensées enfantées par un génie