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anachorète, le tribut de ta reconnaissance à celui qui t’a secourue sur le chemin du péché. — Je fis ce que je dis. Huit jours après la lecture qui m’avait ouvert les yeux, je me mis de nouveau en route pour Jérusalem, où je suis arrivée hier.

— Tu as agi comme une femme pieuse et forte, lui répondis-je; mais comment t’est venue l’idée de ton premier pèlerinage? Quels sont les obstacles qui s’opposèrent à l’accomplissement de ton vœu pendant vingt longues années?

L’humble voyageuse me regarda un moment comme si ma question l’eût étonnée.

— Il me faudrait pour cela te raconter toute l’histoire de ma vie, maîtresse, me dit-elle. Auras-tu la patience d’écouter le simple récit d’une villageoise qui, jusqu’au moment où elle se mit en route pour la Palestine, n’avait pas quitté un seul jour la cabane où elle était née?

Je la pressai de nouveau. Le langage dans lequel s’exprimait la paysanne de Twer était empreint d’une austérité, d’une onction éloquentes qui me rendaient curieuse de pénétrer dans les secrets de cette âme d’élite que je venais de découvrir sous les humbles vêtemens d’une femme du peuple. La chapelle du Golgotha, rarement employée au service divin, était un lieu bien choisi pour la confession que je venais de provoquer; c’est un endroit de refuge pour ceux qui, après avoir entendu les vêpres dans l’église du Saint-Sépulcre, y viennent passer les longues heures de la nuit en attendant les matines. Des groupes de pèlerins sont accroupis dans tous les coins, les uns dormant, les autres se racontant leurs aventures; j’en ai vu tirant de leur besace le morceau de pain sec ou le biscuit destiné à réparer leurs forces. Ce fut donc sans remords que j’invitai la paysanne de Twer à raconter son histoire; ce fut sans remords aussi qu’elle se prêta à mon désir. C’est à elle que je veux maintenant laisser la parole le plus possible, en observant, avant tout, que le don de la parole est un don généralement répandu parmi le peuple russe, et qu’il élève souvent les individus les moins instruits à une véritable éloquence. Les femmes ajoutent encore au charme de l’idiome russe par un accent d’une suavité indéfinissable. Cette remarque fera comprendre bien des traits de cette histoire, dont le fond est exactement vrai, et que je me suis bornée à recueillir fidèlement, heureuse d’y retrouver le caractère du peuple simple et bon dont les mœurs m’étaient interprétées avec une si touchante sincérité par un de ses plus dignes enfans.


II.

Je suis née aux environs de Twer, me dit la paysanne russe; mon père était dialchok (sous-diacre) dans un village assez considérable