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l’or que parce qu’il provient des montagnes d’où les eaux l’ont entraîné. Ces montagnes sont les vraies mines à exploiter[1].

A mesure que nous nous avançons, le ciel est moins constamment pur, et l’Océan remplace sa constante sérénité par des accès passagers de mauvaise humeur, puis reprend son calme et son sourire accoutumés. Nous sommes sur la limite de la mer enchantée des Antilles et de la mer sauvage de l’Europe. Une autre circonstance assombrit un peu les fronts des passagers : les vivres diminuent chaque jour. En allant visiter le garde-manger vivant du navire, je vois avec une certaine inquiétude décroître le nombre des moutons, des pores, des poulets. Les bœufs ont disparu, et nous sommes menacés d’être réduits à la viande salée pour les dix ou douze jours qui nous restent à passer en mer. Si le temps est beau, nous toucherons aux Açores pour nous ravitailler. Chacun désire vivement qu’il en soit ainsi.


23 avril, les Açores.

Enfin nous découvrons les Açores. Outre l’intérêt tout prosaïque qui me faisait désirer de les apercevoir, leur vue, après plusieurs jours de navigation sur une mer sans îles, réjouit l’âme et les yeux. Elles se présentent de la manière la plus gracieuse, annoncées par le Pic, beaucoup plus élevé que le Vésuve, mais qui lui ressemble. En approchant, l’illusion augmente, et c’est la baie de Naples que je crois contempler. Je n’ai jamais rien vu qui la rappelle davantage. L’île de Caprée seule est absente; mais le Pic à notre droite, à notre gauche une île assez semblable à Ischia, en face une ligne qui s’allonge comme Procida, une autre qui s’abaisse comme le Pausilippe, rendent la comparaison de plus en plus exacte. Seulement, en approchant de Fayal, on s’aperçoit que les collines très vertes et très fertiles sont presque entièrement dépouillées d’arbres.

Nous nous arrêtons en face de la ville de Fayal. Ses maisons blanches bordent la mer; les églises sont blanches aussi; les portes et les fenêtres, encadrées d’une pierre noire, ont un aspect particulier que je n’ai vu qu’ici. Le capitaine a déclaré qu’on ne descendrait point à terre; quelques passagers n’en risquent pas moins une promenade furtive. Pendant ce temps, le bâtiment est entouré de barques remplies d’oranges, de petits paniers à la mode du pays, de fleurs artificielles en plumes; mais ce que l’on voit venir à bord avec encore plus de plaisir, ce sont des quadrupèdes et des volatiles qui nous rassurent tous sur l’avenir de nos dîners. Bientôt on repart,

  1. En septembre 1853, il résulte des derniers rapports sur la Californie qu’elle a déjà fourni 40,000,000 de livres sterling, probablement un dixième environ de tout l’or qui jusque-là existait dans 1er monde. (The Economist, 17 septembre 1853.)