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nous devons coucher, nous avons traversé un véritable désert semé de grandes masses volcaniques noires. C’est aujourd’hui dimanche; dans le rancho où nous nous sommes arrêtés, le curé se balançait mollement sur un hamac, tandis que ses paroissiens jouaient autour de lui au monte. Le soir, un enfant de quatre ans tout nu s’est amusé à mettre le feu au rancho. Le petit drôle semblait trouver très divertissant ce jeu sauvage. On dansait encore ici, mais à quelque distance. Après m’être promené longtemps au clair de lune sur une place que traversaient de temps en temps des Indiens enveloppés de leurs grands manteaux pour aller prendre leur part du bal, je me suis endormi aux sons des harpes mourans dans la nuit.


5 avril.

En approchant de Vera-Cruz, nous avons retrouvé la verdure. Après nous être perdus dans de grandes prairies, nous sommes arrivés à des bois touffus pleins de fleurs et d’oiseaux; mais par une de ces alternatives qui au Mexique attendent à chaque pas le voyageur et l’empêchent d’éprouver jamais l’ennui de l’uniformité, en approchant de la mer, nous nous sommes engagés dans des sables parfaitement semblables aux déserts de la Nubie. La voiture, même débarrassée de nos personnes, a eu beaucoup de peine à franchir les dunes d’un sable fin et blanc qui nous masquaient Vera-Cruz. Parvenus sur leur sommet, la ville s’est montrée tout à coup sous son véritable aspect de cité fiévreuse et maudite, étalant sa longue ligne de murs surmontés de quelques clochers à travers des tourbillons de poussière, et cette fois toute semblable à une ville pestiférée de l’Orient. Heureusement pour nous, cette poussière embrasée qui donnait à Vera-Cruz une physionomie si lugubre était soulevée par un norte, lequel est une garantie contre la fièvre jaune. Nous avons béni aujourd’hui ce norte bienfaisant que nous avions tant redouté en mer quand nous venions de La Havane. L’effet en a été si puissant, qu’il a fait presque froid le soir pendant les trois jours très ennuyeux et toujours un peu longs qu’il nous a fallu passer dans la capitale de la fièvre jaune. Heureusement encore ce norte est tombé le jour où nous nous sommes embarqués sur le bateau à vapeur anglais qui nous ramène en Europe.


De Vera-Cruz à la Jamaïque.

Nous voilà donc en route pour Southampton et la France. C’est désormais l’affaire du bateau à vapeur. Nous n’avons plus à nous mêler de rien. Bien que j’aie encore dix-huit cents lieues à faire, il me semble que je suis arrivé.

Je trouve que la vie de bord est fort semblable à celle qu’on