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passaient sur la plaine immense; la neige limpide de l’Orizaba réfléchissait les calmes splendeurs de la lune, et à l’orient, comme des points dorés, scintillaient mille et mille étoiles. Oh! je vous salue, fontaines de lumière dont s’illumine le voile de la nuit, vous êtes la poésie du firmament!

« A mesure que la lune s’abaissait radieuse vers l’occident, l’ombre du Popocalepetl s’étendait avec lenteur; on eût dit un gigantesque fantôme. L’arc ténébreux vint jusqu’à moi et me couvrit, et il alla toujours grandissant, jusqu’à ce qu’enfin toute la ferre fut enveloppée de son ombre. Je tournai les yeux vers le majestueux volcan qui, voilé de transparentes vapeurs, dessinait ses immenses contours à l’occident, sur le ciel. Géant de l’Anahuac[1], comment le vol rapide des âges n’imprime-t-il aucune ride sur ton front de neige ? Le temps court impétueux, amoncelant les années et les siècles, comme le vent du nord précipite devant lui la multitude des ondes; tu as vu bouillonner à tes pieds les peuples et les rois qui combattaient comme nous combattons, et appelaient leurs cités éternelles, et croyaient fatiguer la terre de leur gloire! Ils ont été! Il n’en reste pas même un souvenir. Et toi, seras-tu éternel? Peut-être un jour, arraché de ta base profonde, tu tomberas; ta grande ruine attristera l’Anahuac solitaire; de nouvelles générations s’élèveront, et, dans leur orgueil, nieront que tu aies été ! »

L’auteur de ces vers était né à Caracas; une révolution l’amena enfant au Mexique. A la mort de son père, il alla vivre dans l’île de Cuba, où sa famille avait des biens; une autre révolution l’en chassa. Il voyagea dans les États-Unis et revint au Mexique, où il mourut, à trente-deux ans, dans la ville de Toluca. Heredia avait une âme ardente et rêveuse, pleine d’enthousiasme pour la liberté et d’horreur pour l’oppression : il traduisit tour à tour en vers espagnols Ossian, Byron et Déranger; mais ce qui l’inspirait surtout, c’était la patrie adoptive d’où il était exilé. A Toluca, qui appartient à la Terre-Froide du Mexique, il se sentait relégué dans une région glacée; il adressait des vers passionnés à sa chère Cuba, un suspirada Cuba... dont il adorait le soleil... yo ti amo sol.., mais dans laquelle il n’avait pas voulu vivre asservi. « Sous le ciel sans nuage de ma patrie, je n’ai pu consentir à ce que toute la nature fût noble et heureuse, excepté l’homme. »

Tels étaient les sentimens et telle fut la vie d’Heredia. Il y a quelques jours à Mexico, M. Carpio, qui lui a été fort attaché, me racontait qu’étant allé visiter la tombe du poète, il ne l’avait pas retrouvée. On lui apprit que, cinq ans s’étant écoulés, le terrain avait été vendu; ainsi la place même de la sépulture d’Heredia est déjà ignorée au Mexique; puissent les lignes que je lui consacre ici commencer sa renommée en Europe !


31 mars.

Nous sommes sortis de Puebla à quatre heures du matin; nous

  1. Ancien nom du plateau mexicain.