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vent sans danger. Dans leur ensemble, ils constituent une force qui peut être en certains instans l’appui des gouvernemens. En France, par malheur, voici longtemps qu’on cherche un milieu entre s’occuper trop et s’occuper trop peu de politique, et même quand la politique court les rues et les places publiques, les questions extérieures ne sont pas ce qui passionne le plus. Qu’est-ce donc dans ces périodes de stagnation qui suivent les agitations prolongées ! Qu’on observe aujourd’hui l’état du pays : rien ne serait plus curieux à rechercher que l’influence et le retentissement de la question d’Orient dans la vie intérieure de la France. À Paris, on s’en émeut ; elle a son effet à la Bourse ; elle est matière à nouvelles et souvent à spéculations hasardées. À un autre point de vue, les esprits politiques s’en préoccupent. Bien des gens ne la connaissent pas toujours, mais ils en parlent et ils s’arrangent de leur mieux pour s’y intéresser. La question étant à la mode, ils ne peuvent faire autrement. Dans la masse du pays, la question d’Orient prend un tout autre caractère. Nous ne voulons pas dire qu’elle rencontre l’indifférence ; seulement elle devient quelque chose de très lointain et presque étranger à l’ensemble normal des intérêts. C’est presque une affaire de luxe, si l’on nous passe ce terme. Cela n’a rien de bien surprenant. En France, comme nous le disions, on connaît peu en général les questions extérieures, on les suit peu, on n’aperçoit que la paix ou la guerre qui peut en sortir, et l’opinion se prononce par des considérations le plus souvent fort étrangères aux questions elles-mêmes, selon les dispositions générales du moment, comme le veut l’invisible courant qui traverse l’atmosphère. Il est des instans où on ferait la guerre pour rien en France, et il en est d’autres où ce serait beaucoup que de l’accepter pour les intérêts les plus sérieux. Or ou ne saurait se dissimuler que la question d’Orient se présente dans une heure où l’instinct de la paix a une singulière puissance. Allez dans quelques provinces, et tâchez de vous reconnaître dans cette absence de tout symptôme de vie publique. Ce qui domine d’abord, c’est le sentiment du repos après les tempêtes passées. C’est à peine si on est revenu encore. Parlez des affaires d’Orient, il se peut qu’on vous réponde par l’expression de préoccupations bien différentes et d’ailleurs très sérieuses par elles-mêmes. La solution des crises extérieures, on en remet sans effort le soin au gouvernement. Ce qui préoccupe, parce qu’il y a un intérêt plus rapproché, c’est l’affaire des subsistances, l’état des marchés, le mouvement du prix des grains ; c’est encore la maladie qui s’étend sur la vigne dans un assez grand nombre de contrées, — chose plus grave peut-être qu’un déficit de grains, parce que ce déficit peut se combler dans un an, tandis que la maladie de la vigne non-seulement atteint un objet d’alimentation, mais encore peut menacer pour longtemps un des élémens les plus considérables du commerce extérieur. Il semble même que cette influence néfaste atteigne cette année tous les fruits de la terre. Dans ce concours de circonstances diverses, il n’y a sans doute nul sujet d’alarme ; il y a lieu du moins à de sages et opportunes mesures en tout ce qui est du ressort de la prévoyance et de l’habileté humaine.

Le gouvernement tout le premier y porte son attention. On a vu récemment quelques-unes des dispositions qu’il a prises pour faciliter l’entrée et la circulation des grains. Il vient encore de dégrever un autre objet de consommation en réduisant les droits à l’importation des bestiaux et des viandes