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lui de voir s’il doit compromettre cette œuvre pénible, accomplie par la main victorieuse de ses généraux et par la politique énergique du prince Schwarzenberg, qui eût maintenu intacte, à coup sûr, l’indépendance de l’Autriche dans la crise actuelle. Après tout, cette indépendance de la politique autrichienne vis-à-vis de la politique russe est la seule chose à désirer pour que l’accord soit possible, naturel, nécessaire même, entre le cabinet de Vienne et les autres gouvernemens de l’Occident.

Mais, à quelque parti que s’arrête l’Autriche, que feront l’Angleterre et la France ? L’envoi aux Dardanelles d’une partie des flottes combinées n’est-il pas déjà le sûr indice de la résolution qu’elles ont prise ? Le refus du divan, on ne saurait le dissimuler, avait mis un instant les deux puissances dans une situation singulière, soit à l’égard de la Porte, soit à l’égard de la Russie. Comment continuer à couvrir l’empire ottoman après avoir préparé pour lui un arrangement qu’on croyait acceptable, et qui n’était pas accepté ? Et d’un autre côté, comment le contraindre par la force ou l’abandonner à son destin ? Le seul moyen était la voie des conseils diplomatiques, et ce moyen, la Russie est venue le paralyser en assignant à la note de Vienne un sens qu’elle ne pouvait avoir, de telle façon que l’Angleterre et la France se trouvent en réalité replacées dans une situation plus naturelle, ayant encore à défendre dans l’indépendance de l’empire ottoman un intérêt européen, comme à l’origine de la crise. Seulement les deux gouvernemens n’auront-ils pas cette fois à agir d’une manière plus décisive et plus efficace ? Au premier mouvement, il se peut que la place des flottes anglaise et française ne soit plus à Besika, mais à Constantinople, et ceci pour deux raisons des plus sérieuses : la première, pour défendre la Turquie contre des actes ultérieurs d’hostilité de la part de la Russie ; la seconde, pour protéger le sultan et les chrétiens de l’empire contre les hordes barbares qui les menacent. Il y a là un double intérêt à sauvegarder en présence de l’invasion russe et du fanatisme turc, excité, dit-on, par des agens étrangers. C’est de cette manière que l’Angleterre et la France peuvent le mieux marquer le sens élevé qu’elles attachent à la protection dont elles couvrent l’empire ottoman, protection qui ne cache aucune vue ambitieuse, qui s’appuie au contraire sur l’intérêt le plus actuel de l’Europe et de la civilisation. Là nous semble le but. Quant au reste, nous n’avons pas la prétention de savoir les moyens qu’emploieront les gouvernemens, et moins encore de pressentir les phases diverses par lesquelles peut passer encore la question d’Orient. Déjà l’opinion publique commence à s’émouvoir en Angleterre. Des meetings nombreux s’assemblent, et laissent apercevoir un mouvement prononcé contre la politique russe. Ce n’est point certainement à dire qu’il faille souscrire à tout ce qui se débite au-delà du détroit, ni même qu’on doive utiliser les services de M. Kossuth. Le mieux au contraire, c’est de se dispenser de tels services, et de ne pas permettre à M. Kossuth d’aller les offrir à qui que ce soit. Il y a lieu de croire d’ailleurs que le divan ne les accepterait pas ; cependant il est bon que l’opinion publique en Angleterre comprenne le danger de pareilles alliances.

Ces mouvemens de l’opinion publique à l’occasion de quelque grande question politique sont fréquens en Angleterre. Ils s’étendent facilement à tout le pays, non pas toujours sans excès et sans excentricités, mais le plus sou-