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amener les Russes aux portes de Constantinople, et le danger d’une révolution intérieure qui peut aboutir à la déposition du sultan actuel. Le refus d’accéder à la note de Vienne est en définitive l’expression de cette violente situation intérieure, si bien faite pour aggraver les complications du dehors.

Mais, il faut le dire, si malgré cette situation le refus de la Porte a été une faute, si au premier moment le cabinet ottoman semblait n’avoir d’autre parti à prendre que de revenir sur sa décision, au hasard d’avoir à invoquer le secours de l’Europe contre un soulèvement intérieur, il est bien difficile aujourd’hui que la Turquie accepte purement et simplement la note de Vienne, après les interprétations que vient de lui donner le cabinet de Saint-Pétersbourg. La Russie n’a point changé de position : elle a repris celle qu’elle avait au début, ce qui en vérité est bien assez. Dans cette déplorable affaire, où le plus beau rôle appartient naturellement au plus sage, les impressions se modifient incessamment, à mesure que la question se déplace, ou prend un caractère nouveau. À l’origine, c’est la Russie qui a soulevé en Europe la répulsion des cabinets par une politique qui ressemblait trop à un excès de la force. Quand la note de la conférence de Vienne est venue et qu’elle a été repoussée par le divan, tandis que le tsar l’acceptait, on s’est retourné contre la Turquie avec d’autant plus de vivacité peut-être qu’on s’attendait moins à son refus. Les commentaires récens du cabinet de Saint-Pétersbourg viennent rétablir les choses, parce que, après tout, la modération de la Russie n’a été qu’apparente. L’empereur Nicolas avait cependant la plus merveilleuse situation à prendre en tout ceci, il nous semble. Lors même qu’il eût consenti aux modifications sollicitées par la Porte, donnant ainsi des gages plus complets de son désir de la paix, qui eût songé à mettre en doute la puissance et l’efficacité de sa politique ? Il a cédé à une autre pensée, et cette pensée, c’est toujours celle qui a présidé à la mission du prince Menchikof à Constantinople, celle que l’Europe a jugée déjà incompatible avec l’équilibre de l’Occident. Rien ne prouve mieux la persistance de l’ambition russe que la note de M. de Nesselrode à M. de Meyendorf, et le document qui explique le refus de la Russie d’accéder aux modifications de la Porte. Nous n’avons point le dessein de revenir sur des questions épuisées, de chercher à démontrer une fois de plus ce qu’il y a de peu justifiable au point de vue du droit dans les prétentions russes. Il y a cependant dans la note de M. de Nesselrode un argument singulier. — Si les changemens réclamés par la Porte sont insignifians, dit le chancelier de Russie, pourquoi en fait-elle dépendre son acceptation ? S’ils sont importans, pourquoi s’étonner que nous refusions d’y acquiescer ? — Oui, cela peut être, mais c’est là justement ce qu’on disait à la Russie dans les commencemens de cette crise. Si les prétentions qu’elle voulait faire reconnaître étaient fondées sur des traités existans, et si elles étaient toutes simples, pourquoi y tant tenir et réclamer des stipulations nouvelles ? Si elles étaient quelque chose de très nouveau et de très sérieux, pourquoi trouver surprenant que la Porte, usant de son droit, refusât d’y accéder ? Est-ce donc que la seule supériorité de l’argument russe, c’est la force ? Ainsi, du côté de la Russie et de la Turquie, les choses en sont revenues à un point où un conflit est dans l’ordre des faits possibles et probables. Tout peut dépendre, dans ces circonstances, de quelque enga-