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penses écrasantes ; on le met dans l’impossibilité de faire une paix honorable ; on le pousse, sciemment ou non, aux abimes. Oui, nous le disons de toute la force de notre conscience, voilà, sans le vouloir peut-être, tout ce que l’on risque à Saint-Pétersbourg, et tout ce qui s’accomplira, si l’Europe ferme les yeux aux dangers qui la menacent. Pour nous, nous espérons que les gouvernemens ne failliront pas à leur tâche : la loyauté leur fait une loi de dire ce, qu’ils ont voulu faire, et de restituer à leur intervention en faveur de la Turquie son véritable caractère. D’autres devoirs plus urgens leur sont encore imposés : le pouvoir du sultan, la population paisible de Constantinople, les nombreux étrangers qui habitent cette capitale, les églises grecques enfin, dont la Russie se dit la protectrice, sont à la merci de l’explosion soudaine d’un fanatisme imprudemment provoqué et à bout de patience. La place des escadres n’est plus aujourd’hui à Besika ; elles ont été exposées assez longtemps dans cette baie aux rafales du vent du nord et aux brisans de la côte : c’est dans le Bosphore qu’il leur faut mouiller ; l’humanité et l’intérêt politique l’exigent, et le traité du 13 juillet 1841 ne s’y oppose plus. Grâce à cet acte de dignité et de vigueur, les négociations, nous en sommes convaincus, n’en seront que plus efficaces, et l’Europe devra son repos et le maintien de son équilibre à l’énergique initiative de la France et de l’Angleterre.

v. de mars.

Nous reprenons notre récit de la quinzaine sur la crise actuelle. — Il est impossible, quelles que soient les résolutions des divers gouvernemens intéressés dans les affaires d’Orient, de ne point remarquer la gravité singulière que vient de prendre tout à coup cette crise dans ces derniers jours. Engagée par l’ambition russe, ramenée par l’Europe à un point où on la croyait presque apaisée, puis ravivée par une décision inattendue de la Turquie, elle s’est trouvée replacée sur un terrain où elle ne semble pouvoir se dénouer que par un conflit, et où la balance penche de nouveau vers la guerre. À l’origine du moins, la question était, pour ainsi dire, intacte au point de vue des tentatives possibles de conciliation ; on avait devant soi la voie des négociations. Tant que la diplomatie n’avait pas fait son œuvre, on pouvait croire à l’efficacité de ses efforts, on devait se reposer sur la puissance des intérêts universels, sur la solidarité de la plupart des états du continent, sur le bon accord qui s’est promptement établi entre les cabinets. La position est changée aujourd’hui ; elle est changée pour tout le monde, pour la Turquie comme pour la Russie, comme pour les puissances médiatrices, et malheureusement, il faut le dire, c’est le refus de la Turquie de souscrire à la note préparée à Vienne qui est le principe de cette situation nouvelle. — Il s’est produit ce qui ne pouvait manquer de se produire : le divan interprétant et modifiant pour sa part la note de Vienne, la Russie l’a interprétée à son tour, et comme l’Europe, chargée de la médiation, a conservé aussi apparemment le droit d’attribuer un sens à ce qu’elle a fait, il se trouve en fin de compte que ce sont là trois interprétations différentes, dont aucune peut-être ne ressemble à l’autre. En un mot, il est arrivé, comme nous le disions récemment, qu’on ne s’est plus compris, on ne s’est plus entendu, là où tout devait être tranché par un esprit mutuel de conciliation. Il en résulte pour tous, pour l’empire ottoman, pour la Russie et pour l’Europe, une situation