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Constatons d’abord que les espérances des députés de la restauration quant à la reconstitution de la grande propriété furent complètement trompées. On courait après une chimère. Depuis 1789, la France était entrée trop avant dans les voies démocratiques pour qu’il fût possible de rétablir dans son sein, par des moyens artificiels, cette aristocratie territoriale que la révolution avait détruite. Tous les stratagèmes législatifs devaient échouer contre un fait accompli et consacré, à tort ou à raison, par les idées nouvelles. Il était donc bien inutile de mettre le tarif dans la complicité d’une œuvre politique contre laquelle protestaient énergiquement les mœurs du pays, et de combattre, par des lois de douanes, la transformation qui, depuis la vente des biens nationaux, s’était opérée dans le régime de la propriété. Sous ce rapport, les taxes violentes imposées aux bestiaux manquèrent leur but: le morcellement du sol n’a cessé de faire d’incroyables progrès.

Dira-t-on que ces taxes, condamnées par l’expérience au point de vue politique, ont du moins protégé sérieusement l’agriculture, et qu’elles ont exercé une influence favorable sur l’élève du bétail et sur nos subsistances? Pour qu’il en fût ainsi, il faudrait que les existences eussent augmenté, que la consommation se fût accrue, et que le prix de vente présentât une certaine réduction. Malheureusement, si l’on s’en rapporte aux statistiques, il ne parait pas que ces résultats aient été obtenus. Le recensement de 1829 évaluait à 9,130,400 le nombre des bestiaux de la race bovine, et dans ce chiffre on comptait 2,033,000 bœufs. En 1839, la statistique officielle a constaté l’existence de 9,936,400 têtes de race bovine, comprenant 1,968,000 bœufs. Pendant cette période de dix ans, l’accroissement de la race bovine (800,000 têtes) était loin de se trouver en rapport avec celui de la population, et, en ce qui concerne particulièrement les bœufs, on doit remarquer que leur nombre avait diminué de plus de 100,000 têtes. Il n’y a pas eu de recensement en 1850, et cette lacune est très regrettable; cependant, à défaut de chiffres authentiques et généraux, on peut, en consultant l’état des bestiaux achetés pour Paris sur les marchés d’approvisionnement, arriver pour l’ensemble à des conclusions à peu près exactes. Or il ressort de ce tableau que, de 1831 à 1840, la moyenne était pour les bœufs de 70,000 têtes, pour les vaches de 17,000 têtes, et pour les veaux de 72,000 têtes. De 1841 à 1849, cette même moyenne ne s’est élevée respectivement qu’à 76,000, 20,000 et 77,000 têtes. L’accroissement n’est point proportionnel à celui de la population parisienne, surtout si l’on observe que depuis 1845 les chemins de fer amènent dans la capitale des flots de voyageurs dont la consommation est très considérable. Il est donc permis de conclure, d’après la situation du marché de Paris, que, de 1840 à 1850, les existences des bestiaux de race bovine ne présentent pas une augmentation supérieure à celle qui a été constatée pour la période 1830-40 : d’où il suit, en résumé, que les droits de douane à l’aide desquels on entendait protéger l’agriculture n’ont point développé la production intérieure.

Envisageons maintenant la consommation. Sur ce point, les statistiques et les opinions sont très contradictoires. Il est en effet très difficile d’évaluer le chiffre des abattages pour toute la France, attendu que dans les campagnes il n’est point fait état des opérations de la boucherie, et c’est