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élevait les droits sur les bestiaux à 30, 15 et 2 fr. Pour la première fois, on songeait à appliquer franchement à cette importante denrée alimentaire le régime protecteur.

Il est toujours fort aisé de critiquer les gouvernemens après coup. Cependant, si l’on veut apprécier avec équité les actes d’une administration et en particulier ceux qui rentrent dans le domaine de la législation économique, il convient de se placer par la pensée au milieu des circonstances qui ont provoqué ces actes. Assurément, on peut poser en principe que toute taxe qui pèse sur les subsistances est mal calculée; mais quand un gouvernement se trouve assailli de réclamations incessantes, quand il est sollicité non-seulement par des intérêts individuels ou locaux, mais encore par les pouvoirs constitutionnels, par les chambres, il faut bien qu’il cède. En 1822, l’opinion publique, du moins l’opinion légale, c’est-à-dire celle qui votait dans les collèges électoraux ou au sein des assemblées, se prononçait énergiquement pour l’élévation du tarif des bestiaux. Les appréhensions des producteurs en présence des importations croissantes de l’étranger dominaient complètement l’intérêt des consommateurs : ceux-ci devaient être sacrifiés. Il serait donc injuste de mettre ici en cause les ministres de la restauration ; les propositions qu’ils furent obligés de soumettre à la chambre des députés, pour remplacer par un droit de 30 fr. sur les bœufs la taxe de 3 fr. en vigueur depuis 1816, ne se trouvèrent même pas au niveau des exigences parlementaires. La chambre repoussa le droit de 30 francs comme insuffisant, et elle adopta pour maximum le chiffre de 30 fr. En 1826, malgré les efforts du gouvernement, cette dernière taxe fut appliquée uniformément aux bœufs de toute classe, et le tarif demeura fixé ainsi qu’il suit :


Bœufs 50 fr. »» c. par tête.
Vaches 23 »» —
Taureaux, bouvillons et taurillons 15 »» —
Génisses 12 50 —
Veaux 3 »» —
Béliers, brebis et moutons 5 »» —
Agneaux »» 23 —

On avait donc poussé les choses à l’extrême. Ces taxes étaient exorbitantes et elles dépassaient toutes limites; aussi ne faut-il point les considérer exclusivement comme l’expression d’une doctrine économique : elles procédaient surtout d’une pensée politique, d’un plan hautement avoué de réorganisation sociale. On venait de restaurer la vieille monarchie; on voulait restaurer en même temps les institutions qui autrefois avaient fait sa force, c’est-à-dire l’aristocratie territoriale, la grande propriété. Après avoir été, sous la convention et sous l’empire, transformé en arme de guerre, le tarif des douanes était détourné encore une fois de ses voies naturelles et livre aux aveugles passions de l’intérêt politique. Il ne s’agissait plus de protéger l’agriculture, selon le sens que les esprits raisonnables attachent à ce mot; on était décidé à hausser outre mesure le prix des denrées, afin d’augmenter la rente du sol, (le reconstituer la classe des riches propriétaires, d’accomplir en un mot la contre-révolution. La restitution du milliard aux émigrés, l’élévation exagérée du tarif des bestiaux et des laines, l’établissement des droits sur les