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ravant, on n’attend plus que sa permission. Il revient sur-le-champ à Paris, et c’est lui maintenant qui, profitant de la circonstance, va faire ses conditions. Il ne s’agit pas précisément pour lui d’amuser la cour à huis-clos, mais d’arriver devant le public, et de le faire rire aux dépens de la cour, ce qui est un peu différent : pourvu qu’une chose conduise à l’autre, Beaumarchais sera charmé de plaire à MM. de Vaudreuil et de Fronsac. Seulement, avant de consentir à la représentation de Gennevilliers, il exige innocemment qu’on lui accorde la faveur d’une nouvelle censure. Singulière exigence au premier abord ! « Mais, lui dit-on, votre pièce a déjà été censurée, approuvée, et nous avons la permission du roi. — N’importe, il me faut encore un nouveau censeur. » — « On me trouva, écrit-il à M. de Breteuil, on me trouva un peu bégueule à mon tour, et l’on dit que je faisais le difficile uniquement parce qu’on me désirait ; mais, comme je voulais absolument fixer l’opinion publique par ce nouvel examen, j’insistai pour qu’on l’accordât, et le sévère historien M. Gaillard, de l’Académie française, me fut nommé pour censeur par le magistrat de la police. »

Ce n’était pas mal imaginé. À la veille d’une fête de cour, où chacun se faisait une joie de voir jouer le Mariage de Figaro, quel censeur atrabilaire aurait voulu entraver cette joie et se brouiller avec les puissans seigneurs qui ordonnaient la fête ? Et si, comme on devait s’y attendre, le rapport du censeur était complètement favorable, c’était un titre de plus à la représentation publique, dont Beaumarchais comptait bien tirer parti. On connaît déjà par une citation assez plaisante celui que Beaumarchais appelle le sévère historien Gaillard ; on ne sera peut-être pas fâché de retrouver ici ce sévère historien, et de savoir ce qu’il pensait du Mariage de Figaro. Voici son rapport, d’ailleurs assez court, adressé au lieutenant de police :


« Permettez-moi, monsieur, de vous faire part de mon sentiment sur la comédie intitulée la Folle journée ou le Mariage de Figaro.

« Je l’ai entendu lire, et je l’ai lue ensuite avec toute l’attention dont je suis capable, et j’avoue que je ne vois aucun danger à en permettre la représentation en corrigeant deux endroits et en supprimant quelques mots dont on pourrait abuser malignement, ou faire des applications dangereuses ou méchantes.

« La pièce est d’une très grande gaieté ; mais quand les gaietés, quoique approchant de ce qu’on nomme gaudrioles, ne vont pas jusqu’à l’indécence, elles font plaisir sans faire de mal. Les gens gais ne sont pas dangereux, et les troubles des états, les conspirations, les assassinats et toutes les horreurs que l’histoire de tous les temps nous apprend ont été conçus, combinés et exécutifs par des gens réservés, tristes et sournois. La pièce d’ailleurs est intitulée la Folle journée, et Figaro, le héros de cette pièce, est connu par la comédie du Barbier de Séville, dont celle-ci est la suite, pour un de ces intri-