Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/161

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Tandis que le duc de Fronsac fait courir après Beaumarchais, le comte de Vaudreuil, qui prépare sa fête pour le comte d’Artois et Mme de Polignac, attend avec anxiété le consentement de l’auteur du Mariage de Figaro. Nous avons sous les yeux un billet de lui au duc de Fronsac, qui se trouve dans les papiers de Beaumarchais apparemment parce que ce dernier, craignant quelque boutade de la part du roi, avait exigé du duc de Fronsac la remise de toute cette petite correspondance, afin de prouver qu’il n’avait fait que céder aux sollicitations des courtisans. Cette circonstance heureuse nous permet d’observer de près ce qui se passait dans toutes ces têtes frivoles que la révolution allait bientôt frapper, et de reconnaître avec quelle aveugle impatience ces patriciens étourdis aspiraient à être signalés par Figaro au mépris des masses. Écoutons maintenant le comte de Vaudreuil. Nous lui devons cette justice de déclarer d’abord qu’il écrit beaucoup plus correctement que le duc de Fronsac.


« Ce vendredi, à Versailles.

« On a trouvé, mon cher Fronsac, la parodie de l’Ami de la Maison beaucoup trop gaie pour être jouée devant de très jeunes femmes ; l’autre pièce est peut-être encore plus forte pour le fond, mais du moins les mots n’y effraient pas l’oreille, et elle peut être jouée. Ainsi, dans le cas où la réponse de M. de Beaumarchais n’arriverait pas assez tôt, nous nous en tiendrons à la pièce de Cailhava et à deux proverbes bien arrangés, mais je ne doute pas que la permission[1] ne nous arrive, et en conséquence nous retarderons le petit spectacle de trois à quatre jours : ainsi ce sera pour le 21 ou le 22. Voulez-vous bien vous charger d’engager les comédiens à se tenir prêts pour ce temps-là ? Mais, hors le Mariage de Figaro, point de salut[2]. Je vous rends mille grâces, mon cher Fronsac, de la peine que vous voulez bien prendre, je sens bien que c’est pour ces dames et M. le comte d’Artois, qui partagent ma reconnaissance. Recevez de nouvelles assurances de la tendre amitié que je vous ai vouée pour la vie.

« Le Cte de Vaudreuil. »

« J’irai, à mon premier voyage à Paris, voir et remercier Mme Contat et Mme Raimont de la peine qu’elles veulent bien prendre. S’il y a d’autres rôles de femmes dans la pièce, vous voudrez bien me les dire pour que je ne manque à rien. »


Beaumarchais apprend donc en Angleterre que, pour faire jouer devant la cour cette pièce prohibée par le roi quelques mois aupa-

    M. de La Ferté, intendant des Menus-Plaisirs du roi, se trouvait par la même occasion intendant de ceux du duc de Fronsac, qui exerçait à la place de son père la charge de premier gentilhomme de la chambre.

  1. Il s’agit ici de la permission de Beaumarchais, celle du roi étant déjà obtenue.
  2. Cette phrase n’est-elle pas curieuse sous la plume de M. de Vaudreuil, quand on songe à l’influence incontestable que le Mariage de Figaro a exercée pour la destruction de l’ancienne hiérarchie sociale ?