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rendus au maniement de la langue. Elle a prouvé aux plus incrédules que le style le plus familier peut très bien se concilier avec le style le plus élevé, et comme si elle eût tenu à rendre l’enseignement complet, elle a placé la trivialité près de la familiarité, nous signalant ainsi le danger des plus saines doctrines poussées à l’excès. Un tel service, auquel la nouvelle école n’avait sans doute pas songé, mérite la reconnaissance de tous les bons esprits; ce n’est pas d’ailleurs le seul qu’elle ait rendu à notre littérature. En exagérant l’importance de la vérité historique et locale, elle a remis en honneur, à son insu, la vérité humaine et permanente, qui domine tous les lieux et tous les temps. C’est un second service aussi digne de reconnaissance que le premier.

Que l’école dramatique de la restauration ne s’afflige donc pas sans mesure et n’accuse pas d’ingratitude et d’ignorance la génération qu’elle a voulu charmer, et qui la déclare aujourd’hui, non pas impuissante ou inhabile, mais tout simplement infidèle à son programme. Elle tiendra sa place dans l’histoire, sinon par l’éclat et la pureté de ses œuvres, du moins par le mouvement qu’elle a suscité. C’est à elle en effet que nous devons l’étude des nations voisines, et j’oserai dire l’étude de la France elle-même. Pour contrôler ses affirmations, nous avons promené nos regards autour de nous et reporté notre attention sur les différens âges de notre langue. Pour savoir si la prose nouvelle rappelait avec plus d’ampleur et d’éclat la manière du XIIIe siècle, si le XVIIe siècle n’avait possédé la clarté qu’en sacrifiant la grâce, si le XVIIIe siècle n’avait jamais connu qu’une phrase écourtée, nous avons relu Montaigne, Pascal et Rousseau, et ce triple examen, loin de justifier les louanges que l’école nouvelle se décernait elle-même, a converti en certitude les doutes que nous avions conçus. La période souple et ondoyante de Montaigne ne se retrouve pas tout entière dans la prose de la nouvelle école. Le style sobre et contenu de Pascal ne fait pas trop mauvaise figure près des livres écrits depuis vingt ans. Quant au style de Rousseau, s’il n’est pas toujours exempt d’emphase, il a toujours du moins un accent de sincérité, et, pour ma part, je ne trouve pas la phrase de Rousseau trop écourtée. Nous pouvons donc nous montrer justes envers l’école dramatique de la restauration sans faire violence à nos instincts. Nous lui devons une leçon qu’elle ne prétendait pas nous donner : la pleine connaissance de nos richesses. Songerait-elle à nous reprocher une largesse qui ne lui a rien coûté?

La forme tragique est aujourd’hui discréditée, c’est un fait que je ne songe pas à contester. Cependant, quel que soit l’état de l’opinion, le bon sens ne perd pas ses droits, et je crois que le bon sens n’a pas condamné et ne peut pas condamner la forme tragique. Il est très