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que vous soyez au courant de ce qui se passe. Recevez, je vous supplie, mes hommages[1].

« Ce vendredi 24 mai 1782. »


Cette lecture, y compris sans doute le préliminaire que nous avons cité, eut un grand succès. Le souvenir de ce succès nous a été conservé par une dame amie de la grande-duchesse, Mme  la baronne d’Oberkirch, qui y assistait et dont on vient de publier des souvenirs intéressans sur le XVIIIe siècle. Il y a là un petit portrait de Beaumarchais qui s’accorde à merveille avec celui de Gudin déjà connu, pourvu toutefois qu’on prenne le mot de vaurien dans le sens que lui donnait probablement la baronne et que lui donnerait très certainement le sémillant Gudin. Nous ne pouvons nous empêcher de reproduire ce portrait, en demandant pardon à l’ombre de La Harpe de la légèreté irrespectueuse avec laquelle Mme  d’Oberkirch le fait servir de repoussoir à la figure de Beaumarchais. « Autant, dit cette dame, la mine de chafouin de M. de La Harpe m’avait déplu, autant la belle figure ouverte, spirituelle, un peu hardie peut-être de M. de Beaumarchais

  1. On voit que Grimm est un homme prudent, qui n’aime pas à se compromettre ; mais puisque M. le baron prend de lui-même un si vif intérêt à la chose, c’est-à-dire à la représentation du Mariage de Figaro, on se demande pourquoi, lorsque cette représentation a lieu, le même Grimm, dans sa Correspondance, adressée en Allemagne, parle d’un ton si ironique des intrigues auxquelles l’illustre Beaumarchais a eu recours pour faire jouer sa pièce. On se demande pourquoi M. le baron de Grimm nous dit : « L’événement vient de justifier l’opinion que M. de Beaumarchais avait de ses forces, opinion que nous n’avons jamais cessé de partager, avec tout le respect que peuvent inspirer la profondeur et la sublimité de ses ressources. » Ce ton dénigrant ne s’accorde guère ni avec la lettre que nous venons de citer, ni avec une autre lettre précédente que nous ne citons pas, dans laquelle Grimm se félicite avec une grande effusion d’assister à une lecture du Mariage de Figaro chez l’auteur lui-même. Serait-ce que Beaumarchais aurait manqué au respect dû à ce baron du saint-empire ? Tant s’en faut, car après la lecture chez le comte du Nord, Beaumarchais écrit à Grimm en date du 27 mai 1782 une belle lettre qui commence ainsi : « Monsieur le baron, c’est bien la moindre chose que vous receviez mes premiers remerciemens, puisque c’est à vous que je dois la réception pleine de bienveillance dont leurs altesses impériales ont daigné honorer ma grave personne et mon fol ouvrage. Hier encore, à la lecture, ne voyais-je pas du coin de l’œil que vous aviez la bonté de donner à des choses assez communes l’importance de votre approbation, qui eût suffi pour entraîner celle du couple auguste ?… Samedi dernier, M. le comte de Vergennes me disait : « Il y a peu d’hommes dont je fasse autant de cas que de M. le baron de Grimm, et son opinion sur votre ouvrage achèvera de fixer la mienne. » À coup sûr, on ne peut pas ménager moins les coups d’encensoir. Pourquoi donc M. le baron parle-t-il avec tant de dédain d’une chose à laquelle on vient de le voir s’intéresser lui-même si bénévolement ? C’est qu’apparemment M. le baron éprouvait le besoin de commencer son compte-rendu en homme de qualité, car une fois que sa bouffée vaniteuse est lâchée, quand il entre dans l’analyse de la pièce, il y met, comme à son ordinaire, de l’esprit, du bon sens, et, à tout prendre, plus de bienveillance que de sévérité ; seulement le baron du saint-empire ne pouvait pas décemment avouer à des princes allemands qu’il avait lui-même pris sa petite part des intrigues de l’illustre Beaumarchais.