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déjà gagnée, n’est dans l’exorde qu’une pure imprudence, car il ne réussira jamais à captiver la bienveillance de l’auditoire. Les bons esprits ne s’émeuvent pas des attaques furibondes prodiguées à leur indifférence; ils ne pourraient s’en inquiéter sans renoncer au parti de la raison. Ils sont arrivés aux mêmes conclusions que la foule par une voie différente, mais non moins sûre. Ils n’ont pas invoqué comme elle la seule autorité du bon sens; préparés par des études laborieuses, ils ont pu appeler en témoignage l’histoire littéraire de l’Europe. L’histoire s’est trouvée d’accord avec le bon sens, c’est-à-dire que les lettrés ont ratifié l’arrêt prononcé par la foule.

L’école dramatique de la restauration peut s’indigner tout à son aise contre cet accord qu’elle n’avait pas prévu : elle ne réussira pas à le détruire. Ses plus fines railleries, ses plus ingénieux quolibets, viendront s’émousser contre l’évidence. Que signifie son indignation, sinon qu’elle s’avoue vaincue et que la défaite n’est pas de son goût? Si elle persévérait dans ses croyances, si elle n’était pas arrivée à douter d’elle-même, au lieu d’argumenter contre les esprits désintéressés qu’il lui plaît d’appeler ses ennemis, elle songerait à renouveler le combat, c’est-à-dire à réaliser son programme dans des œuvres nouvelles. Or elle s’abstient, donc elle se défie de ses propres espérances. Ce n’est pas moi qui blâmerai sa réserve et son inaction; je voudrais seulement qu’elle recueillît sans colère les fruits de sa prudence. Qu’elle ne tente pas une bataille nouvelle, je le conçois : le passé n’est qu’un présage trop certain de l’avenir qui l’attend; mais qu’elle demeure au moins silencieuse en même temps qu’inactive; qu’elle ne prenne pas en main la défense d’un passé condamné sans retour; qu’elle se résigne à l’oubli, au lieu de s’en affliger. Elle a cru que les jeux du bas-empire convenaient à notre génération et suffiraient pour l’occuper tout entière; elle s’est trompée : pourquoi ne pas l’avouer de bonne grâce? Espère-t-elle par sa colère désarmer la sévérité de ses juges? Il faut accepter sans réserve les faits accomplis dans l’ordre littéraire toutes les fois que ces faits ne blessent ni le bon sens, ni le goût, qui n’est que le bon sens agrandi, élevé par la réflexion, — ni l’érudition, qui prépare laborieusement les arrêts prononcés par le goût. Or ici le bon sens, le goût et l’érudition se réunissent pour déclarer puériles la plupart des œuvres dramatiques écrites depuis vingt ans. Ce qu’il y a d’ingénieux et d’élégant dans ces tentatives applaudies pendant quelques jours ne suffit pas à dissimuler l’intervalle qui sépare la promesse de la conception. Je ne dis pas que ces tentatives soient demeurées toutes sans profit. Si l’école dramatique de la restauration s’est adressée aux yeux plus souvent qu’au cœur, si elle a excité la curiosité plus souvent que l’attendrissement, il n’est pas permis de contester les services qu’elle a