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ciers 280,000 francs, pour le paiement desquels la tranquillité du prince et bien souvent la mienne ont été troublées.

« Caron de Beaumarchais. »
« Ce 10 mai 1783. »


La demande du prince avait été d’abord accueillie par le nouveau ministre de la marine, M. de Castries, qui avait promis les deux vaisseaux ; mais le prince ayant eu une querelle avec le ministre, l’affaire avorta. Nassau, toujours fuyant ses créanciers, part pour la Pologne, où il se distingue au service du roi Stanislas-Auguste, en discutant à grands coups de sabre dans les diétines contre le parti Czartorisky. « Avant que l’on se fût reconnu, écrit-il en parlant d’une délibération à la polonaise, il y en a eu trois cent quatre de tués et plusieurs de blessés ; voilà à quoi nous passons notre temps et ce que c’est que la liberté : chacun a son avis et le soutient ; cependant vous voyez que partout les rois ont raison lorsqu’ils le veulent bien. » Quand il ne bataille pas dans les diètes, le prince s’occupe à faire jouer le Mariage de Figaro par les dames et les seigneurs de la cour, et partage avec le roi de Pologne les fonctions de régisseur. « On s’est avisé de prétendre, écrit-il de Varsovie le 15 décembre 1785 à Beaumarchais, que moi ayant été témoin de plus de dix répétitions, et toujours à côté de l’auteur, je devais le suppléer et traiter la troupe d’ici comme je l’avais vu quelquefois traiter celle de la Comédie-Française[1]. Vous voyez, mon cher Beaumarchais, que mon rôle n’est pas le plus facile à jouer. Aussi n’ai-je pas la prétention de le rendre aussi bien que celui de la comtesse Almaviva sera rendu par la comtesse Tyskiewicz, que vous avez vue chez moi à Paris. Ma femme a le rôle de Suzanne ; Sophie, qui est fort grandie, celui du petit page, qu’elle joue très bien. M. de Maisonneuve, qui joue la comédie avec moins de froid que Dazincourt et tout autant d’intelligence, a le rôle de Figaro. Le comte Almaviva est joué par M. V… (nom illisible), qui a l’air noble et tout ce qu’il faut pour bien rendre ce rôle. Le roi, qui vient aux répétitions, et qui met le plus vif intérêt à ce que la pièce soit bien jouée, disait hier soir à souper : — Je paierais bien cher pour que M. de Beaumarchais arrivât ici cette nuit. — Vous jugez bien que ma femme et moi nous faisions chorus. »

Après avoir fait jouer le Mariage de Figaro à Varsovie, le prince passe au service de Catherine, bat les Turcs et les Suédois, et tandis que l’Europe retentit du bruit de son nom, il continue avec Beaumarchais une correspondance dans laquelle ce dernier rappelle de temps

  1. Ceci s’accorde bien avec une tradition de la Comédie-Française, que je tiens de M. Régnier, qui la tient lui-même de Baptiste et de Duparay. « L’art du comédien, dit M. Régnier, avait en Beaumarchais un appréciateur d’un goût très sûr, mais très difficile. » Duparay affirmait qu’il était méticuleux, nerveux, même emporté, aux répétitions.