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Autre billet :


« Mon cher Bonmarchais, je suis désespérée, mais il faut absolument que j’aille demain pour affaires à Versailles, et je n’ai pas un petit écu. Envoyez-moi, si vous pouvez, quelques louis. »


Variante sur le même sujet :


« Mon cher Bonmarchais, voici le déjeuner que m’a envoyé mon maître d’hôtel aujourd’hui ; voyez s’il est d’une digestion facile[1]. M. de Nassau l’a trouvé, il lui a demandé son compte. Il faudra que nous causions là-dessus, pour que l’examen puisse traîner jusqu’au moment où nous pourrons le rembourser. En attendant, mon ami, envoyez-moi ce que vous pourrez. Adieu ; pardonnez si je vous tourmente presque autant que je suis tourmentée. »


L’ami Bonmarchais gronde, prêche l’économie, et finit toujours par s’exécuter avec assez de bonne grâce. On voit qu’il a du goût pour ces deux personnages, non-seulement parce qu’ils sont princes, mais parce qu’ils sont bizarres et qu’ils paraissent d’ailleurs éprouver pour lui une affection sincère et prennent une part très vive à toutes ses tribulations. La princesse, qu’il ne faudrait pas juger sur ses billets quémandeurs, a souvent de l’esprit avec un certain vernis d’étrangeté qui lui donne du piquant. C’est ainsi qu’elle écrira à Beaumarchais, à propos d’un abbé Sabathier qu’elle n’aime pas et qui a rendu des services à son mari : « Combien j’aime ma reconnaissance avec vous ! combien elle me tourmente avec lui ! Vous allez vous fâcher. Je ne le hais pas, mais je ne puis l’estimer : je le regarde comme un grand enfant, et j’aime à peine les petits, hors Eugénie[2]. De plus, cet homme me présente l’idée de l’imperfection, de la faiblesse, et quand je vois cette araignée quasi sous mes talons, cela me donne la chair de poule. Je suis trop franche peut-être, mais avec vous je n’ai jamais su penser que haut. »

Le prince, de son côté, offre des traits d’originalité assez amusans, par exemple, lorsqu’il s’en va en guerre, laissant sa femme aux prises avec ses nombreux et insupportables créanciers. Si la princesse s’avise de lui écrire sur ses affaires, au moment de monter à l’assaut de Gibraltar, il adressera à Beaumarchais les lignes suivantes :


« Mon cher Beaumarchais, il est assez agréable, lorsque l’on a en France un régiment de cavalerie et un corps d’infanterie, de venir en Espagne commander une des batteries flottantes qui ouvriront la porte de Gibraltar[3] ;

  1. C’était sans doute quelque lettre du maître d’hôtel de la princesse, refusant de la nourrir plus long-temps à ses frais.
  2. La fille de Beaumarchais.
  3. On sait que cette attaque échoua ; mais elle fut conduite en partie par le prince de Nassau avec une rare intrépidité.