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retrouvé le plaidoyer de Beaumarchais sur la question ; mais on ne sera peut-être pas fâché de rencontrer ici la réponse du sévère prélat, Christophe de Beaumont, à l’auteur du Mariage de Figaro plaidant pour une princesse divorcée.


« Paris, le 13 septembre 1780.

« Je vous envoie, monsieur, ma réponse à la lettre dont M. le prince de Nassau m’a honoré. Vous voudrez bien la lui faire passer. Je ne vous dissimulerai pas que cette réponse est négative. Malgré le désir que j’aurais d’entrer dans les vues du prince, je n’aurais pu concourir à son mariage sans aller contre les principes de l’église latine, qui ne connaît aucune cause de divorce, et notamment contre les principes de l’église gallicane, où il n’y a jamais eu d’exemples de pareils mariages. D’ailleurs il y a en France une parfaite conformité entre les lois civiles et ecclésiastiques sur la matière du divorce.

« On ne peut rien ajouter à la sincérité des sentimens avec lesquels je suis, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

« † Christophe, archevêque de Paris. »


Malgré le refus de l’archevêque, le mariage du prince, considéré comme contracté en Pologne, n’en fut pas moins reconnu à la cour de Versailles, et sa femme admise comme princesse de Nassau. « Ce ménage, dit le duc de Lévis, était bien assorti. La princesse était une grande femme mince qui avait un reste de beauté. Sans être parfaitement droite, elle avait de l’élégance dans la taille, ses manières étaient nobles et polies ; mais elle avait plus d’imagination que de jugement, de l’esprit sans suite, et, comme la plupart des Polonaises, le cœur chez elle valait mieux que la tête. » Cette princesse, en effet, jetait, nous l’avons dit, l’argent par les fenêtres avec la même facilité que son mari. Comme son mari, elle adorait Beaumarchais, et comme son mari, elle abusait de sa caisse. « Je ne conçois pas, écrit à ce couple auguste Beaumarchais, sans doute un peu impatienté ce jour-là, je ne conçois pas que deux personnes aussi spirituelles que vous et la princesse puissent toujours enchâsser dans le même cadre et le malaise le plus affligeant et la prodigalité la plus désordonnée. » Le malaise, en effet, va quelquefois très loin. Sur deux cents lettres de la princesse, il y en a bien une centaine griffonnées d’une écriture illisible, et qui ont toutes pour but de faire un appel à la bourse de l’ami Bonmarchais ; la princesse, par parenthèse, n’a jamais pu venir à bout d’écrire correctement le nom de son ami. Voici quelques échantillons de ces billets de princesse :


« Il y a bien longtemps que je ne vous ai vu, mon cher Bonmarchais, et vous allez en lire la preuve : c’est que je suis encore sans le sou. Envoyez-moi quelques louis par le porteur, mon ami, si vous voulez que je dîne demain. »