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Il est à souhaiter cependant que M. Ragani ne se fasse pas d’illusion sur l’accueil plus ou moins bienveillant qui a été fait à l’ensemble de son personnel. Excepté Mlle Alboni et M. Mario, tout le reste ne peut être considéré que comme formant le cadre d’une troupe qui a besoin d’être renouvelée presque intégralement. M. Tamburini sera le premier à reconnaître qu’il n’y a pas de souvenirs qui paissant résister longtemps au spectacle d’une voix qui tombe et d’une ardeur qui s’éteint. Quant à Mme Parodi, qui s’est essayée dans la Lucrézia de Donizetti, et à Mme Frezzolini, qui a chanté le rôle d’Elvira des Puritani, ce sont évidemment deux cantatrices de mérite, qui ont le tort d’être venues à Paris un peu trop tard.

Que pouvons-nous dire de nouveau sur Mlle Alboni, si ce n’est qu’elle a eu la fantaisie de devenir comtesse Pepoli, ce qui lui a été aussi facile que de chanter un’ aria di bravura ! C’est toujours la même voix limpide, douce, pastosa, d’une facilité admirable, qui se déroute sans efforts, sans grimaces, et vous enchante l’oreille, quoi qu’elle dise et quoi qu’elle fasse ; au demeurant, la meilleure fille du monde, qui ne veut de mal à personne, et qui vous fait les rimproveri les plus amers avec un sourire sur les lèvres qui vous désarme et qui semble vous dire : Ne croyez pas que ce soit pour tout de bon que je suis fâchée ! Mme de Staël disait de M. de Lally-Tollendal que c’était le plus sensible des homme gras : on ne pourrait pas eu dire autant de Mlle Alboni ; mais qu’importe ? Une seule note de cette voix du bon Dieu ne vaut-elle pas tous les cris que poussent à l’envi ces pauvres créatures qui sortent tous les ans des forges du Conservatoire ? Il y a si longtemps qu’on nous fabrique des voix de toute espèce, comme on fabrique des nez et des palais d’argent, qu’on est bien heureux d’entendre enfin un organe naturel qui a le parfum du thym et du serpolet. — Qu’est-ce que cela prouve ? diront quelques maniaques qui s’intitulent des psychologues et qui vont cherchant la pierre philosophale, c’est-à-dire une espèce humaine dépourvue de sensibilité ; cela ne prouve absolument rien, pas plus que l’amour et la beauté. Mlle Alboni chante comme un oiseau qui gazouille au lever de l’aurore ; son doux ramage est un certo non so che, qui vous charme comme la vue d’une fleur, celle d’un paysage enchanté, comme le murmure d’un ruisseau limpide, le souffle du zéphyr, le son d’une cloche lointaine, comme le regard d’une femme élégants et belle, qui ne vous est rien et qui vous dit simplement avec l’organe d’une Mlle Mars ou d’une Mme Récamier : Bonjour, monsieur ; comment vous portez-vous ? Quand on a entendu Mlle Alboni chanter le rondeau final de la Cenerentola :

Nacqui all’affano,


on est tenté de dire à toutes les cantatrices dramatiques qui ne sont pas, comme la Pasta ou la Malibran, des femmes de génie ce que Rivarol disait à sa maîtresse, qui voulait apprendre à lire :

Ayez toujours pour moi du goût comme un bon fruit,
Et de l’esprit comme une rose.

M. Mario a beaucoup voyagé depuis qu’il a quitté Paris en 1847, et on ne voyage pas impunément et sans laisser un peu de toison aux épines du chemin.