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fois, sous le feu d’une exécution militaire. Qu’apercevez-vous dans l’intervalle de cette gloire et de ce malheur ? Il y a 1814 et 1816, l’écroulement de l’empire, deux révolutions successives, deux changemens de gouvernement, une transformation radicale de la France et de l’Europe. C’est dans cette tempête que disparaît Michel Ney, pour se relever aujourd’hui dans l’image immobile qui le représente. Qui donc a dit le mot, le vrai mot de cet acte de réparation, qui est l’accomplissement d’un décret du gouvernement ? Est-ce M. Dupin dans sa harangue ? Avocat du maréchal en 1815, M. Dupin avait bien des titres sans doute pour figurer dans une telle cérémonie. N’ayant pu par malheur gagner la cause de la vie pour Ney, il s’est cru intéressé à gagner la cause de sa gloire ; seulement il ne s’est point aperçu que c’était une cause depuis longtemps gagnée, pour laquelle il n’était nullement nécessaire de paraître en avocat et de plaider, d’autant plus que quand on plaide, c’est d’habitude en présence de contradicteurs. Le maréchal Ney fut-il légalement jugé ? le tribunal devant lequel il comparaissait était-il compétent ? l’illustre accusé n’était-il pas couvert par des capitulations ? Grandes questions au sujet desquelles M. Dupin a cru devoir rouvrir son dossier, en même temps qu’il se croyait obligé de parler d’un gouvernement tombé - dans un langage qu’on ne parle plus, chose singulière, là où l’ancien homme politique parlait en avocat ou en sous-lieutenant de l’armée de la Loire récemment mis à la réforme, c’est le soldat, c’est M. le maréchal de Saint-Arnaud qui a parlé en homme d’état, avec un sentiment élevé. Le maréchal Ney, a dit simplement et noblement M. le ministre de la guerre, est tombé « victime des discordes civiles et des malheurs de la patrie. « C’est qu’en effet si Ney était doué de toutes les vertus militaires, il avait aussi cette inexpérience des crises politiques qui fait qu’on se perd facilement dans un tel tourbillon ; voilà pourquoi M. le ministre de la guerre a pu dire de lui que ses erreurs étaient de son temps et des circonstances, que sa gloire et ses services n’étaient qu’à lui. Le plus grand hommage qui pût être rendu au maréchal Ney, c’était de dire que son âme se troubla comme celle de Turenne et de Condé, qu’il fit des fautes comme eux et qu’il les expia plus qu’eux, que ses malheurs enfin sont venus ajouter à sa destinée à ce je ne sais quoi d’achevé » dont parle Bossuet. C’est ainsi qu’on fait la part de tout, qu’on peut honorer les hommes sans faire de leur mémoire et des honneurs qu’on leur rend une injure pour qui que ce soit, — outre que M. le maréchal de Saint-Arnaud, avec l’instinct du soldat, a su ne point insister sur ces faits de l’invasion qui pèsent au sentiment national, et dont s’accommode encore l’éloquence de M. Dupin. C’est ainsi, ajouterons-nous, qu’on peut tirer des malheurs passés la leçon du présent et de l’avenir pour les hommes comme pour les gouvernemens.

Le mérite justement de notre temps, à un point de vue supérieur, et le mérite de tous les temps qui suivent de longues agitations, c’est de se prêter à des conditions plus équitables, de substituer dans les jugemens un sentiment de conciliation et de justice aux aigres suggestions des passions. Au milieu des luttes, des divisions, des scissions qui finissent par rendre une société impuissante, en la laissant énervée et désarmée, comment ne naîtrait-il pas bientôt de cette situation même un esprit nouveau tendant à rapprocher certaines