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était passé pour lui, tant cette faveur avait été éclatante et diversement signalée. Eugène IV en effet ne s’était pas contenté de témoigner une estime sans réserve pour les talens du peintre : celle que lui inspiraient les vertus du religieux s’était traduite en plus d’une occasion par des actes non moins significatifs. Un jour même, dit-on, le souverain pontife songea à revêtir de la dignité d’archevêque de Florence, l’artiste dominicain, et celui-ci, détournant sur l’un de ses frères les effets de cette haute bienveillance, obtint à force d’instances que saint Antonin fût appelé à ce siège que lui-même ne se jugeait pas digne d’occuper[1].

Pendant le court séjour que fra Angelico fit à Orvieto, il peignit à fresque quelques compartimens dans les voûtes de la chapelle dont les murs furent un peu plus tard décorés par Luca Signorelli. Rappelé à Rome par Nicolas V, il termina ses travaux du Vatican, en entreprit d’autres dans une partie du palais qui n’existe plus aujourd’hui ; puis, usé par les fatigues et la maladie. il languit quelques mois et mourut, à l’âge de soixante-huit ans, au couvent des dominicains de Santa-Maria-della-Minerva. Il n’avait formé que peu d’élèves, et deux seulement semblent avoir cherché à perpétuer sa manière, si tant est qu’on puisse appeler manière ce qui fut chez lui l’expression presque involontaire du sentiment. L’un, Benozzo Gozzoli, aida de ses conseils Léonard de Vinci et dut lui transmettre, outre ses propres enseignemens, les enseignemens qu’il avait reçus : en sorte que rattaché par une tradition de suavité et de grâce au peintre de San-Marco, l’immortel auteur du Cénacle ajoute une nouvelle gloire au nom de celui qui se trouve ainsi son maître par-delà le tombeau ; l’autre, Gentile da Fabriano, travailla longtemps à Florence, à Rome et à Venise, où il donna des leçons à Jacopo Bellini, père et maître de Jean. Celui-ci eut à son tour pour élèves Giorgione et Titien. On peut donc dire que l’école vénitienne, bien qu’elle démente singulièrement son origine par le caractère de ses œuvres, procède en ligne directe de fra Angelico.


III

La gloire qui avait environné fra Angelico sembla d’abord devoir lui survivre. Elle reçut même une consécration nouvelle du titre de beato qu’on ajouta à ce nom vénéré ; toutefois quelques années s’étaient écoulées à peine que l’on commençait à ne garder du bienheureux d’autre souvenir que celui de ses vertus. Un vain l’épitaphe de Santa-Marin-della-Minerva célébrait son génie en le comparant, assez malencontreusement il est vrai, au génie d’Apelles ; dès la fin du XVe siècle, on en était venu à dédaigner presque les tableaux qui avaient inspiré ces éloges. Un peintre-poète, doublement médiocre du reste, mais qui eut le bonheur d’être le père de Raphaël, Giovanni

  1. Le père Marchese, sans nier ouvertement ce fait, le regarde comme douteux, en dépit des affirmations de Vasari. Ce qui reste certain, c’est que la préposition, si elle fut faite, vint d’Eugène IV, et non, comme le dit Vasari, de Nicolas V. le simple rapprochement des dates prouve l’erreur de l’historien. Saint Antonin devint archevêque de Florence en 1446, par conséquent sous le pontificat d’Eugène IV, Nicolas V n’ayant été élu qu’en 1447.