Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renoncé au monde[1], furent d’abord envoyés à Corinne, d’où ils devinrent au bout d’une année habiter le monastère de San-Domenico, bâti depuis peu au pied de la colline de Fiesole. Saint Antonin y avait précédé fra Giovanni, et ce fut dans cette retraite que les deux jeunes gens, honneur futur de l’épiscopat et de l’art florentins, se lièrent d’une amitié qui dura autant que leur vie. Pendant son premier séjour à San-Domenico, fra Angelico da Fiesole, — non ? le nommerons dorénavant ainsi. — peignit pour l’église du couvent plusieurs tableaux, dont l’un, représentant la Vierge entourée de saints dominicains, se voit encore aujourd’hui dans le chœur. Oeuvre de la jeunesse du maître, cette peinture est, sous le rapport du dessin et de la couleur, inférieure sans doute à celles qu’il exécuta plus tard ; néanmoins le sentiment exquis qui caractérise l’ensemble de sa manière, se révèle déjà ici sans effort, sans nulle hésitation. En général, les tableaux de Fra Angelico n’ont pas tous le même mérite, à ne considérer que le travail matériel ; mais comme ils émanent d’une inspiration toujours égale, ils n’offrent entre eux d’autre différence que cette qui résulte de l’expérience plus ou moins grande des ressources de la palette. Dès ses premiers essais, l’artiste avait trouvé le style qui convenait le mieux à l’expression de sa pensée. Il ne fit ensuite qu’apurer les formes de ce style, et fort contrairement à Raphaël, à Andréa del Sarto, à d’autres grands maîtres qui prirent à tâche de se démentir eux-mêmes et de renier leur foi primitive, il demeura, dans tout le cours de sa vie, invariablement fidèle aux mêmes principes, au même idéal, à la même méthode d’exécution. Aussi est-il difficile, à cause de cette uniformité même, d’assigner aux divers tableaux de fra Angelico une date certaine : on ne peut qu’essayer de la fixer en subordonnant l’ordre des travaux du peintre à celui de ses déplacemens successifs. Qu’importe après tout la solution de ces questions chronologiques ? Quand il resterait démontré que les tableaux qui ornent aujourd’hui les églises de Pérouse et de Cortone ont été peints de 1410 à 1418, parce que, durant cette période, les dominicains de Fiesole, expulsés du territoire de la république, trouvèrent dans ces deux villes un asile contre la persécution ; quand, d’autre part, on réussirait à prouver que le Couronnement de la Vierge, placé au musée du Louvre, est, ainsi que la plupart des œuvres capitales du maître, d’une date postérieure à celle de son retour à Fiesole, nous ne voyons guère ce que le succès de pareilles recherches ajouterait à la gloire de fra Angelico. Les Mémoires du père Marchese témoignent à cet égard d’un excès de scrupule, et si opportun que parût être au point de vue historique un classement méthodique des travaux successivement accomplis, il eût été plus à propos encore de déterminer leur physionomie générale et d’insister sur leurs beautés. Il semble que le père Marchese ait voulu avant tout retrouver et produire des titres, et rappeler aux peintres contemporains les principes de l’art par des faits plutôt que par des leçons d’esthétique. Un conseil donné sous cette forme réservée à des esprits

  1. Ce Benedetto fut un miniaturiste distingué, si l’en en juge par quelques ouvrages qui lui sont attribués, et que possède le couvent de San-Marco à Florence. Il parait qu’en outre il excella dans la calligraphie. « Fra Benedetto était plus habile qu’aucun autre à écrire des livres de chœur notés pour le chant, » dit la chronique de San-Domenico de Fiesole.