Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

florentins les créations admirables de fra Angelico, et proposer en exemple à des hommes volontiers au repos une vie si bien remplie et si féconde, c’était, en ressuscitant le passé, travailler utilement à réformer le présent. C’était faire implicitement le procès aux habitudes actuelles de l’école, c’était aussi, pour le père Marchese, renouer dignement les nobles et laborieuses traditions des anciens cloîtres ; car dans les couvens de l’Italie aussi bien que dans les ateliers, une sorte de langueur intellectuelle avait succédé depuis longtemps à cette prodigieuse activité qui influença si puissamment la vieille civilisation italienne. La publication des ouvrages du père Marchese est donc un fait notable. C’est une louable tentative pour remettre en communication intime l’esprit du cloître et l’esprit séculier. Peut-être gagneront-ils beaucoup l’un et l’autre à s’associer plus étroitement et à se confondre dans un même mouvement de retour vers le passé. En tout cas, et quel que puisse être le succès des efforts de l’auteur des Mémoires sur les artistes dominicains et de San-Marco, — efforts très peu encouragés, dit-on, à Florence, et qui auraient eu pour l’écrivain des conséquences au moins imprévues, — une lacune considérable dans les annales de l’art florentin a été comblée, la vie d’un grand peintre a été retracée avec un soin consciencieux, et lors même que les travaux du père Marchese demeureraient sans action sur l’avenir de l’école toscane, ils auront servi du moins à rajeunir ou à confirmer sa vieille gloire. Pour que nous puissions à notre tour apprécier l’importance du rôle de fra Angelico dans l’histoire de cette école, il est nécessaire de jeter un coup d’œil sur les commencemens de la peinture à Florence et sur les travaux accomplis par les prédécesseurs immédiats du maître.

Après la première impulsion donnée à l’art par Cimabue et si puissamment continuée par Giotto, les productions des peintres florentins présentèrent longtemps un aspect à peu près uniforme, comme si les élèves des deux maîtres et leurs propres disciples avaient jugé tout progrès désormais impossible. L’un de ces artistes, et le seul de l’époque qui ait écrit sur la peinture, Cennino Cennini, nous a laissé un traité qu’il n’a composé, dit-il, au terme de sa vie, que pour initier quiconque veut devenir peintre aux découvertes de Giotto, découvertes léguées par celui-ci à Taddeo Gaddi, qui à son tour en confia le secret à Agnolo, maître de Cennini, Ce sont donc les enseignemens mêmes de Giotto que, près d’un siècle après la mort du chef de l’école, Cennini propose à une quatrième génération d’élèves. À ses yeux, toute réforme tentée dans l’art ne serait guère moins blâmable qu’une hérésie religieuse, et, n’admettant pas qu’il y ait chance de salut pour un artiste en dehors des principes actuellement établis, il met fin à son livre en priant « Dieu, la sainte Vierge et l’évangéliste saint Luc, premier peintre chrétien, de permettre à ceux qui liront ce traité de l’étudier avec fruit et d’en retenir à jamais les préceptes. »

Cependant les disciples de Giotto n’avaient pas tous, malgré leurs scrupules et leur foi dans l’infaillibilité du maître, imité les formes de son style sans quelque modification involontaire. Une sorte de variété s’était parfois introduite dans l’unité des œuvres de l’école. À côté des peintures de Simone Memmi, de Taddeo Gaddi, peintures exécutées, il est vrai, sous le regard même de Giotto, celles de Puccio Capanna, de Stefano Fiorentino et de quelques autres laissent voir les indices d’une certaine émancipation ; mais nulle