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remarque dévoile un trait de caractère, les ouvriers aiment mieux une ville comme Marseille, où ils gagnent davantage et où la vie est plus coûteuse, qu’une cité où le bas prix des articles de consommation vient réduire le taux des salaires. Pourquoi ? C’est qu’un gain plus fort laisse l’individu plus maître de lui-même. Il est plus libre de s’arranger comme il l’entend, et, au moyen de certains calculs et de volontaires privations, il se voit toujours, en fin de compte, plus d’argent disponible.

L’esprit naturellement vif, bien que peu ouvert, de la population marseillaise recevrait assez facilement la semence de l’instruction, si le temps n’était dévoré par les habitudes de la vie locale. Il ne serait pas juste néanmoins de dire que les parens négligent tout à fait pour leurs enfans la culture intellectuelle. Sans y accorder une suffisante attention, ils profitent des facilités offertes par les libéralités municipales. Les Frères Maristes, dont la maison principale est à Lyon, et qui sont les frères ignorantins d’une grande partie de la France méridionale, ont à Marseille, des écoles très fréquentées. En fait de développement intellectuel, le premier rang parmi les ouvriers appartient aux raffineurs. Le goût de l’instruction est très visible chez eux. Les jeunes gens et même les adultes qui n’ont pas appris à lire et à écrire fréquentent les classes du soir. La sécurité de leur état industriel profite à leur intelligence.

Quand on passe de Marseille à Toulon, on croirait, à voir le contraste frappant qui distingue les habitudes des deux villes, pénétrer dans un autre pays. Tandis que, dans la cité commerciale des Bouches-du-Rhône, chacun a l’air pressé et semble craindre de ne pas arriver assez tôt, personne à Toulon ne se hâte, comme si le terme était assuré. C’est qu’à Marseille on court après une fugitive divinité qui ce revient guère sur ses pas ; on est obligé à de continuels efforts pour élargir chaque jour sa propre route et dépasser ses compétiteurs ; Dans le port militaire de Toulon au contraire, on obéit à des règles stables ; on est classé, numéroté, tarifé. Il dépend beaucoup moins de l’individu d’agrandir son horizon et de changer sa place. On le sait, hélas ! l’idée d’un devoir à remplir est pour la majorité des hommes un stimulant moins énergique que l’attrait d’un avantage matériel à réaliser.

Sous l’influence d’un climat plus uniforme que celui de Marseille, la population ouvrière de Toulon est plus amollie. Sans doute elle est capable d’un effort vigoureux, mais à la condition qu’il ne durera pas longtemps : elle aime le repos par-dessus tout. Parmi les ouvriers du port, on peut évaluer à un dixième le nombre de ceux qui s’abstiennent chaque jour de se rendre aux ateliers. Quelquefois, je ne le nie pas, ces absences couvrent un calcul intéressé. Ainsi, à l’époque