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nouveau, elle fournit un corps gras employé dans certaines fabriques de savon.

La fabrication du savon tient le premier rang parmi les industries marseillaises, soit à cause de sa propre importance, soit à cause des industries qui sont pour ainsi dire à sa solde. Elle comptait en 1852 44 établissemens représentant une valeur de 6 à 8 millions de francs, et dont la production annuelle atteint le chiffre de 40 millions. Aucune autre de nos industries n’a peut-être subi depuis trente-cinq années d’aussi profondes modifications que celles qui ont éprouvé la savonnerie ; mais pour comprendre les changements qui en sont résultés dans le travail, il faut savoir d’abord ce que c’est que le savon. Il n’est guère de produit plus usuel, il n’en est guère dont la composition soit moins connue des consommateurs. Le savon se compose de corps gras dont la nature a été transformée par des agens chimiques. Ces corps varient, suivant les pays. À Paris, par exemple, pour la plupart des savons de toilette, on emploie les suifs et les graisses[1], tandis que c’est l’huile qui forme la base des savons de Marseille. On se sert de la soude pour dénaturer cette matière.

Les fabricans marseillais n’utilisaient jadis dans leurs laboratoires que la seule huile provenant du résidu des olives. Après l’avoir mélangée d’abord avec les extraits de diverses graines oléagineuses, ils ont fini par y substituer totalement les huiles tirées du lin, de la sésame et des graines qu’on importe d’Afrique sous le nom d’arachides. En même temps, la soude naturelle a été remplacée par la soude artificielle, en sorte que les élémens essentiels du savon sont complètement changés. On fabrique à Marseille le savon blanc, mais surtout le savon marbre ou bleu pâle, dont la consommation est si générale, et qui fait le fonds de la fabrication provençale[2].

Le régime intérieur des savonneries marseillaises, modifié en 1848, conserve encore une physionomie tout à fait originale. Les ouvriers, dont le nombre ne monte jamais au-dessus de 40 par chaque fabrique, sont placés sous la direction d’un contre-maître et forment une sorte de tribu désignée sous le nom d’équipage. Ils ne travaillent que le jour, mais ils prennent leurs repas dans l’atelier, et souvent en commun.

  1. On emploie aussi l’huile de palme, qui donne un excellent produit quand la fabrication est loyale, et l’huile de coco, qui permet de vendre le savon à un bon marché fabuleux ; mais à ce bas prix le consommateur ne gagne rien, car avec l’huile de coco le savon peut absorber de l’eau jusqu’à 65 pour 100 de son poids, tandis que le chiffre de 35 pour 100 est le chiffre de la fabrication ordinaire.
  2. Personne n’ignore à quelles fraudes a donné lieu dans notre temps la fabrication du savon. Rien de plus facile, en général, que de mêler aux pâtes des matières inertes qui donnent du poids à la marchandise ; mais, circonstance favorable à la fabrique de Marseille, le savon marbre se refuse à ces mélanges frauduleux, qui ne permettraient pas aux veines bleues de se former.