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mentionnés dans les vies des saints qui les premiers ont apporté aux diverses peuplades encore païennes les lumières de l’Évangile. L’apôtre, en convertissant les hommes, commence presque toujours par les débarrasser d’un monstre qui ravageait leur pays. Lorsque saint Venne se présenta à Verdun, les magistrats et le peuple vinrent le prier de faire périr un reptile ailé qui vivait dans le creux d’un rocher à la porte de leur ville et répandait dans l’air une telle infection, que les animaux et les hommes qui passaient auprès de son repaire tombaient morts sur la place. Le saint ordonna un jeûne public pendant trois jours ; le quatrième, il rassembla le peuple et le clergé, et se rendit, revêtu de ses habits pontificaux, dans la caverne habitée par le reptile[1] ; il y entra seul, et, passant son étole au cou du serpent, il l’étrangla à la vue du peuple sans éprouver le moindre mal du poison qui se répandit autour de lui. Cette légende se reproduit à peu près dans les mêmes termes sur tous les points de l’Europe. On voit partout le redoutable animal expirant sous l’imposition des mains et le bâton pastoral, ou traîné hors de la caverne par l’étole de l’évêque, et même par un simple ruban. Saint Pol de Léon dans l’île de Batz, saint Patrice en Irlande, saint Marcel à Paris, saint Arnaud à Maastricht, saint Clément à Metz, remportent, comme saint Venne, d’éclatantes victoires sur des monstres dont le nom est resté souvent aussi populaire que celui des saints. À Rouen, c’est la gargouille, vaincue par saint Romain[2] ; à Metz, la graouilly ; à Tarascon, la tarasque, que sainte Marthe étrangla avec sa jarretière ; à Poitiers, c’est la bonne sainte Vermine ou la grande gueule[3] : à Provins, la lézarde. Ce qui n’était à l’origine qu’une allégorie prit avec le temps le caractère de la réalité. Les villes du moyen âge célébrèrent, comme des fêtes solennelles, les jours anniversaires de la victoire des saints, et de même que dans les ovations romaines on traînait les vaincus après le char des triomphateurs, de même dans les processions commémoratives on porta les images de la gargouille, de la tarasque et de la lézarde à côté des reliques et des images des apôtres qui les avaient terrassées. L’art dramatique comme la liturgie s’empara de ces traditions merveilleuses. Après avoir symbolisé le paganisme dans la légende, le dragon, sur la scène barbare où se jouaient les mystères, symbolisa le royaume de Satan. L’enfer, dans les décorations scéniques du moyen âge, fut souvent représenté par

  1. Histoire de Verdun, 1745, in-4o, p. 61.
  2. Voir Floquet, Du Privilège de la fierté de saint Romain.
  3. Du dragon de Metz, par Alex. le Noir. Mém. de l’acad. celtique, II. 1 a 20. — Salverte, du Dragon et des Serpens monstrueux, Rev. Encyclop., 1826, mai et juin. — Bottin, traditions des dragons volans, Arch. du nord de la France, 1, 97. — Ladoucette, Du Graouilly de Metz, etc.