mois, il s’aperçut que cette cuisse était enceinte du couteau avec lequel il avait coupé le fruit, et, dans le délai prescrit par les lois de la nature, il donna le jour à une petite fille charmante, Peu satisfait d’être mère, Fanouel ordonna à un chevalier de porter l’enfant dans un bois et de le destrancher d’un coup d’épée. Au moment même où le chevalier se disposait à exécuter cet ordre cruel, une colombe descendit du ciel et lui dit : » Frère, retiens ton bras et respecte cette enfant, car elle donnera le jour à la vierge au sein de laquelle s’incarnera le sauveur des hommes. » Émerveillé de ces paroles de la colombe, le chevalier remit son épée dans le fourreau, et, prenant l’enfant entre ses bras, il la déposa dans un nid de cygnes, ombragé de joncs et de roseaux. Un cerf qui errait dans les landes voisines prit l’innocente créature sous sa protection, et il la nourrit comme la biche qui, dans la légende de sainte Geneviève, sert de seconde mère au jeune prince de Brabant. Ce cerf portait sur ses ardillons des bouquets de fleurs, et aussitôt qu’il entendait l’enfant pleurer, il s’agenouillait près d’elle, baissait sa tête sur le nid, et la repaissoit d’une flor jusqu’à ce qu’elle se fût endormie. La jeune fille atteignit ainsi l’âge de dix ans sans sortir de son nid de cygnes et ne se nourrissant que de fleurs. Un jour que l’empereur Fanouel était en chasse, le cerf miraculeux passa devant lui, et il le blessa d’un coup de flèche. Le pauvre animal se réfugia en pleurant auprès du nid, et comme les chasseurs s’avançaient pour le tuer, l’enfant se dressa debout au milieu des touffes de joncs et leur ordonna de respecter celui qui avait protégé et nourri son enfance. « Qui donc êtes-vous, dit Fanouel étonné, vous qui habitez le nid des cygnes et vous nourrissez des fleurs qui poussent aux cornes des cerfs ? — Je suis, répondit la jeune fille, celle que vous avez portée dans votre cuisse. Le chevalier à qui vous aviez donné l’ordre de me tuer m’a déposée dans ce lieu, et, moins cruels que vous, les hôtes de la solitude ont pris soin de ma faiblesse et de ma misère. » Fanouel, attendri jusqu’aux larmes, emmena sa fille dans son palais ; il la maria à l’un des plus puissans chevaliers de son empire, après l’avoir fait baptiser sous le nom d’Anne, nom sous lequel elle donna le jour à la vierge Marie.
Les écrivains légendaires et les poètes, dans ces récits merveilleux, donnent, on le voit, une libre carrière à leur imagination. Ils s’inquiètent peu de la vraisemblance et des traditions orthodoxes, mais du moins ils restent toujours fidèles aux grandes traditions morales. L’apologue, tel que nous l’a légué l’antiquité, n’est souvent qu’une satire ingénieuse ; la légende, telle que nous l’a léguée le moyen âge, est presque toujours le code d’une perfection idéale, et, n’en déplaise à notre civilisation tant vantée, à notre science et à