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sont devenues une nourriture dont je ne pourrais plus me passer : je mourrais, si on enlevait à mes lèvres ce pain du mystère. Comment ferai-je pour retourner dans mon pays ? » Et j’ai vu des larmes dans ses yeux. Eh bien ! pendant qu’il parlait ainsi, il se passait en moi quelque chose que je ne saurais décrire. Je sentis une sorte de plaisir mêlé certainement de tristesse, car c’était un plaisir que je goûtais de ces hauteurs solitaires où ma pensée est condamnée à vivre ; c’était…

— C’était, interrompit Olivier, un sentiment bien connu, chère duchesse, quoi que vous en disiez ; c’était, pour passer du romantique au classique, le sentiment de maître Corbeau que vous goûtiez du haut de votre arbre, tandis que maître Renard vous débitait sa harangue. Moi aussi j’ai fait une découverte, digne de M. de La Palisse, il est vrai : c’est que la flatterie est une magicienne qui opère des prodiges à la Circé sur les plus nobles, les plus intelligentes créatures où puisse se refléter l’image de Dieu. Pendant un instant, vous avez été corbeau et vous vous êtes conduite en corbeau. Personne, voyez-vous, n’échappe aux lois de la nature humaine. Quand l’amour est outragé, il dit à la vanité : « Venge-moi ! » et la vanité le venge. Si Mendoce était encore ici, sous votre empire, attendant la mort ou le salut de vous, il y a quelque chose que je vous aurais caché ; mais Mendoce est paru hier dans un si triste et si misérable état, que vous-même, l’auteur de sa souffrance, vous auriez vainement essayé de le guérir. Il a été à la poursuite des destinées violentes, et s’il rencontre ce qu’il cherche, votre souvenir troublera pour lui-même la paix de la dernière heure. Je serai donc sans miséricorde, et je vous lirai une lettre qui malheureusement est isolée, car, s’il en eût été autrement, l’œuvre de Montesquieu eût été dépassée de toute la distance qu’il y a entre la fiction et la vérité. Nous aurions eu des Lettres arabes, qui, à en juger par celle-ci, auraient, je crois, été piquantes.


« Ben-Afroun, cheick ; des Beni-Hadidi, au capitaine Fontevelle, commandant le cercle d’Aïn-Torah.

« Je suis heureux de vous apprendre que jusqu’à présent Dieu semble avoir béni le voyage de votre serviteur. Ce qui m’appelait en France, vous le savez, c’était le désir de voir mon commandement affermi et agrandi. Dans quelques jours, je l’espère, j’aurai atteint mon but, et les Beni-Itoun seront forcés de m’obéir comme les Beni-Hadidi. Le plus puissant de tous les vizirs à qui le sultan des Français confie son autorité s’est déclaré hautement en ma faveur. Ce n’est pas un homme de poudre, c’est plutôt, je crois, un taleb.