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quitté sa mère, qui était une brigande connue Mme de La Rochejacquelein. Il avait été élevé dans une fière et modeste habitation, moitié château, moitié ferme, où les balles des bleus avaient pénétré. La il n’avait rien appris du monde dans lequel il devait vivre. En Espagne, la guerre lui avait révélé toute une partie de la vie ; mais, s’il était initié à quelques grands mystères, il ignorait tous les petits secrets. Il savait comment on tue un homme, il ne savait pas comment on trompe une femme, et surtout comment une femme vous trompe.

Il avait connu à l’armée de don Carlos le prince de Trènes, et s’était pris pour lui d’une vive affection. Olivier, de son côté, l’aimait sincèrement. Ils avaient passé ensemble plus d’une nuit de bivouac dans ces causeries démesurées où les âmes, semblables à des alcyons, errent à travers des mers immenses, se suspendant tantôt à une vague, tantôt à une autre. Puis ils s’étaient baignés en même temps dans le péril et dans la rêverie. Ils s’étaient vus complètement, et ils avaient découvert que le hasard avait mis entre eux de singulières ressemblances. — Mendoce, disait quelquefois Olivier à Thécla, me représente un âge de ma vie, mon âge héroïque ; j’étais ainsi avant d’avoir dit de ces mots et versé de ces pleurs qui font sortir de nous des vertus ; j’étais ainsi avant qu’une science cruelle eût cloué à mes lèvres, comme une chauve-souris à la porte d’une taverne, cet oiseau des ténèbres : l’ironie.

— Je vous crois, répondit-elle, et c’est pour cela que je n’aimerai jamais votre Mendoce. Je sens avec horreur dès aujourd’hui, sous les emportemens de sa jeunesse, sous les violences de son amour, l’esprit qui maintenant vous domine. Je découvre toujours au fond de ses yeux, qu’ils attachent sur moi des regards tendres, irrités ou douloureux, quelque chose d’investigateur. Il y a en lui un personnage silencieux qui ne disparaît à aucune heure. Un jour, ce personnage parlera.

Elle avait raison, car ce personnage parle aujourd’hui ; mais en vérité, à cette époque, c’était bien sans s’en douter que Mendoce la jugeait. Il l’avait aimée aussitôt qu’il l’avait vue : voici en quelques mots comment ce malheur était arrivé. Un soir, Olivier l’avait conduit chez la duchesse de Glenworth. — Je vous amène, avait-il dit à Thécla, un de mes amis qui est resté en Espagne plus longtemps que moi. Le capitaine Mendoce n’a pas voulu quitter la montagne tant qu’un buisson y a caché un fusil. Il a fait ces campagnes désespérées de Cabrera qui doteront notre siècle d’une belle et sanglante poésie. Vous qui aimez, madame, tout ce qui est hardi et étrange, vous vous intéresserez à cette existence que je ne m’attendais guère à voir traverser un jour votre salon. — Thécla en effet aimait le