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de signaler le mal, de toucher la plaie, de la sonder ; il faut encore indiquer le remède. N’y a-t-il pas un choix à faire dans les sentimens humains ? Tous les élémens de la vie réelle se prêtent-ils avec un égal bonheur, une égale docilité, aux tentatives de l’imagination ? Tous les hommes de goût ont répondu d’avance. Pour effacer jusqu’aux dernières souillures du métier, pour ramener l’art à sa mission, à sa dignité, il faut absolument apporter dans le choix des sujets un discernement sévère. Sans tomber dans la pruderie, les romanciers doivent se rappeler, à toutes les heures de leur travail, l’éloge décerné à l’auteur d’Ivanohoë par le plus illustre de nos poètes lyriques, et ne pas chercher dans la peinture du vice la source de l’émotion poétique. Je ne dis pas qu’il faille à tout jamais bannir le vice du roman : le vice y a sa place marquée, parce qu’il fait partie de la nature humaine ; mais il ne doit pas occuper la première place, comme il l’a fait depuis quelques années. Sans revenir aux traditions de miss Burney et de miss Edgeworth, le roman agira sagement en abandonnant les filles entretenues, qu’il a trop célébrées, pour les femmes chez qui la passion est aux prises avec le devoir, car c’est dans la lutte éternelle du devoir et de la passion que se trouve la source inépuisable de toute émotion poétique. Madeleine et Marie l’Égyptienne ont fuit leur temps : ces deux types défient désormais tous les efforts de l’imagination. L’heure est venue pour le roman de rentrer dans la vie commune, et d’abandonner le boudoir des courtisanes pour le salon des femmes vraiment dignes d’affection : c’est à mes yeux la méthode la plus sûre pour dompter l’indifférence et retrouver la sympathie.

Ainsi les conseils de la critique se réduisent à deux points : apporter un discernement sévère dans le choix des sujets ; substituer la méditation à l’improvisation. Si les romanciers les acceptaient sincèrement et se résignaient à les pratiquer avec franchise, l’art serait bientôt rajeuni et retrouverait son ancienne splendeur. Il est évident en effet qu’une fois résolus à ne pas traiter indifféremment toutes sortes de sujets, à ne pas se mettre à l’œuvre avant d’avoir déterminé le but qu’ils veulent toucher et la route qu’ils suivront, ils seront amenés par une pente insensible au respect de ; la langue. La pureté de la forme se mettra d’accord avec l’élévation des sentimens.

Si la critique voulait aller plus loin, elle méconnaîtrait la limite de sa puissance. Il lui appartient d’avertir les talens qui se fourvoient ; il ne lui appartient pas de susciter des talens nouveaux. Cependant, avant d’abandonner la discussion, il convient, je crois, d’aborder une question qui touche à la nature même du roman. Quelle place la philosophie doit-elle tenir dans cette forme littéraire, qui semble se prêter aussi bien aux pensées les plus austères qu’aux