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allemandes. Pour retrouver la simplicité du langage, la première condition était de mettre en œuvre des pensées naïves, et c’est là précisément ce que l’auteur a négligé. Quand Brulette ne prend pas plaisir à désespérer tous ses amoureux, elle discute sur la musique avec une abondance et une finesse qui étonnent à bon droit chez une fille élevée au village. Elle reprend la vieille querelle de l’inspiration et de l’étude, qui ne promet pas de s’apaiser prochainement. À vrai dire, la question telle que la pose l’auteur des Maîtres Sonneurs me parait insoluble et oiseuse. Personne n’a jamais contesté le caractère divin de l’inspiration, c’est une cause gagnée depuis longtemps. Quant aux dangers de l’étude, fussent-ils réels, et je ne le pense pas, il serait très inutile de les signaler, car je ne vois pas que l’étude prenne chez nous un caractère épidémique. Brulette, après avoir entendu un air de musette, raconte tout ce qu’elle a rêvé pendant l’exécution de ce morceau. Il y a certainement dans le récit de son rêve une grande richesse d’imagination : mais je doute fort que la musique puisse jamais tenir les promesses d’un pareil programme. La Symphonie pastorale, si justement admirée, ne peut soutenir la comparaison avec cet air de musette.

Et comme si l’inspiration n’était pas assez glorifiée, comme si l’étude n’était pas suffisamment convaincue d’impuissance, l’auteur expose à sa manière le mode mineur et le mode majeur. Aux plaines le majeur, aux montagnes le mineur : c’est un partage arrêté d’avance, et que nulle volonté ne saurait changer. Qu’on ne parle plus des intervalles ménagés dans la composition de la gamme pour expliquer la différence des deux modes : une telle théorie est bonne tout au plus pour les hommes d’étude ; les hommes d’inspiration n’ont pas à s’inquiéter de pareilles vétilles. Mozart et Beethoven passent d’emblée à l’état d’énigmes, car ils maniaient avec une égale habileté le mineur et le majeur. Par quel étrange privilège ont-ils possédé tout à la fois le génie de la montagne et le génie de la plaine ? Question délicate et ardue, qui mériterait d’être mise au concours. Comment ont-ils affronté impunément les dangers de l’étude ? Autre question plus difficile encore, et que je n’essaierai pas de résoudre. Peut-être l’auteur n’a-t-il pas mesuré toute la portée de ses théories musicales, j’incline à le penser : peut-être n’a-t-il pas prévu toutes les conséquences qu’il serait permis d’en tirer : dans tous les cas, il affiche pour l’étude un dédain qui surprendra tous les lecteurs sensés, et pour l’ignorance un respect superstitieux qui n’obtiendra que le sourire.

Est-ce à dire que les Maîtres Sonneurs n’offrent aucun intérêt ? Je suis loin de le penser. L’auteur de la Mare-au-Diable et de la Petite Fadette, lors même qu’il se fourvoie, garde encore le secret de nous attacher. Il y a jusque dans ses paradoxes un accent de franchise qui