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or ces œuvres, où se révèle souvent une imitation très habile de la réalité, sont à mes yeux des œuvres pernicieuses. Aussi me parait-il opportun d’analyser et d’apprécier le dernier roman publié par l’auteur des Mystères de Paris. Le bien et le beau sont réunis par des liens étroits : en parlant au nom du goût, je parlerai au nom du devoir. Peindre la réalité dans ses moindres détails, se complaire dans l’analyse des passions les plus hideuses, est tout à la fois une offense aux lois poétiques et aux lois morales. Sans sortir du domaine de la critique littéraire, je me trouve donc amené à prononcer implicitement un jugement qui relève de la pure philosophie. Quelque dures que puissent paraître les conséquences d’un tel jugement, je ne songe pas à les répudier. L’union du bien et du beau est une vérité hors de toute contestation : il m’est donc impossible de toucher à la seconde question sans effleurer la première. Que l’auteur des Mystères de Paris ne s’en prenne qu’à lui-même, si, en signalant ses fautes de goût, je signale en même temps les aberrations morales qu’elles représentent : je suis obligé d’accepter la nature humaine telle qu’elle est.

Ces prémisses une fois posées, je ne crains pas que le lecteur se méprenne sur ma pensée. Ma sévérité n’étonnera personne, car les récits que le talent popularise sont puissans pour le mal comme pour le bien, et quand le danger frappe nos yeux, l’indulgence ne serait qu’une coupable faiblesse.

Je voudrais pouvoir louer Mont-Revêche, car personne plus que moi n’aime le talent de George Sand ; mais, en conscience, je ne puis accepter ce récit comme une œuvre sérieuse. Assurément, plusieurs parties de ce roman se recommandent par des qualités éclatantes ; mais, il faut bien l’avouer, ce n’est, à tout prendre, qu’une ébauche ingénieuse. Le héros de cette nouvelle conception, Dutertre, est un modèle accompli de tolérance et de sagesse ; je crains seulement qu’il ne soit très difficile de rencontrer dans le monde des hommes pareils à ce type idéal. Marié pour la seconde fois, il endure, avec une magnanimité stoïque, toutes les persécutions dirigées contre sa nouvelle femme par l’aînée de ses filles. À parler franchement, Nathalie est tout simplement un monstre. Il serait difficile de trouver parmi les créatures vivantes une fille plus odieuse et plus misérable. Coquette et bas-bleu, Nathalie n’épargne à sa belle-mère aucune torture ; elle ne néglige aucune occasion de la blesser, et dépense toutes les forces de son esprit pour la tourmenter à toute heure. L’auteur paraît avoir dessiné ce portrait avec une singulière prédilection : quel motif l’a guidé ? Je l’ignore. Ce qu’il y a de certain, c’est que ce personnage, souverainement odieux, tient dans sa composition une place considérable.

Il règne dans tout ce récit une telle imprévoyance, que tout semble