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barbare de nos conquérans saliques, où les juges siégeaient avec la lance. Du temps de Cécrops, Arès y avait été absous du meurtre d’un étranger ; Céphale, de la tribu éolienne, y fut condamné pour avoir tué la fille du roi d’Athènes ; l’Oreste d’Eschyle y est amené par Apollon lui-même ; tout indique un tribunal national pour la classe guerrière. Eschyle dit lui-même : « Ceci sera désormais et à toujours le tribunal de l’armée d’Athènes. » L’aristocratie presque féodale va donc achever la destruction du régime théocratique, déjà désorganisé, en lui enlevant la juridiction criminelle et la censure publique, et c’est vers cette époque en effet que disparaissent de la légende ces figures redoutées de prêtres et de prophètes qui accompagnaient les rois dans leurs expéditions, entravaient leurs desseins, les punissaient et les détrônaient quelquefois en faisant parler les dieux. Or voici sous quelles images le poète expose cet événement.

Oreste, poursuivi par les Euménides, cherche un asile à Delphes, dans le temple d’Apollon, le dieu indigène. La Pythie, qui venait adresser ses prières, d’abord aux dieux primitifs du pays, ensuite à ceux qui ont été admis postérieurement, voit tout à coup, autour d’un suppliant prosterné devant l’autel, des figures affreuses, étrangères, qu’elle ne connaît pas, et qui la font fuir. Cependant Apollon arrive lui-même, appelle Oreste du milieu de « ces vieilles exécrées, auxquelles ne s’allie ni dieu, ni homme, ni bête, habitantes des enfers, odieuses aux hommes et aux dieux. » Il l’envoie à Athènes, auprès de Minerve, pour demander d’autres juges. Les Euménides, éveillées par l’ombre de Clytemnestre qui demande vengeance, se lèvent en tumulte, voient que leur justiciable leur a échappé, accusent les dieux nouveaux qui s’emparent de tout pouvoir contre toute justice, favorisent les mortels malgré la loi divine, et détruisent les filles antiques du Destin. Apollon les chasse. Elles poursuivent Oreste jusqu’à Athènes, et le trouvent aux pieds de la statue de Minerve. Cette déesse arrive, vierge non engendrée, expression d’une pensée nouvelle produite par la réconciliation de Jupiter et de Prométhée, réunissant dans ses attributs la guerre et la science, l’héroïsme grec et la sagesse égyptienne. C’est à elle qu’il appartient d’apaiser ce conflit. Il est clair qu’ici la cause d’Oreste n’est que le prétexte ou l’occasion : les plaidoiries sont peu concluantes sur le fond ; mais Minerve, refusant de juger elle-même, déclare qu’à l’avenir les causes criminelles seront jugées par l’Aréopage, auquel elle prescrit les règles qui en ont fait par la suite la force et la durée. Les Euménides s’indignent de se voir ainsi dépossédées ; sans cesse elles reviennent sur cette idée, — que les divinités anciennes sont détrônées par des divinités nouvelles, que l’ancienne législation est détruite, que tout ira désormais au plus mal dans le monde : c’est le langage ordinaire des privilèges qu’on abolit. Minerve, avec une