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ainsi dire, portant en eux la haine de race et la révolte religieuse, et formant ainsi un épisode intimement lié aux événemens essentiels de l’histoire humaine. La liaison, la continuité, la profondeur de ces événemens, ne nous frappent pas assez parce que nous n’en voyons pas la suite ; combien ils nous paraîtraient plus important, si nous avions les trilogies entières ! Eschyle avait complété celle-ci par la catastrophe de Thèbes, qui arriva dix ans plus tard, et qu’il avait traitée sous le titre des Epigones. Ces Epigones ou descendans des sept chefs revinrent à l’attaque de Thèbes, et y détruisirent définitivement la domination phénicienne et sacerdotale. Ici encore c’est la fusion religieuse qui termine l’aventure ; le dieu des Hellènes, Apollon, profita de la dépouille théologique, car l’oracle de Thèbes, représenté par Manto, qui signifie divination, fut, après la mort de Tirésias, transporté à Delphes. Thèbes entra ainsi à son tour dans cet ordre nouveau, dont la ville d’Athènes et l’autel de Minerve paraissent déjà, en ces temps reculés, marquer le centre, intellectuel par un rayonnement de liberté.

Jusqu’ici nous avons vu dans le Prométhée, une guerre de religion et de nationalité à la fois, plus dans la trilogie égyptienne la délivrance de la race vaincue et captive ; à Thèbes, quelques siècles plus tard, c’était la théocratie encore constituée dans les cités, mais que l’insurrection des tribus guerrières vient dissoudre comme pouvoir politique. Voici maintenant, dans l’Orestie ou trilogie d’Oreste, que nous avons tout entière, un nouveau progrès dans cette démolition de la puissance théocratique : le droit de juger dans les causes criminelles lui sera enlevé à son tour et transporté au pouvoir civil et laïque, à l’Aréopage. C’est une grande époque dans le mythe et dans l’histoire, et qu’Eschyle a rendue avec non moins de vigueur que la guerre des Titans : sujet obscur et difficile, mais d’autant plus digne d’une étude sérieuse et hardie, car cette pièce des Euménides, si étrange dans son développement, si pleine de lueurs lugubres et de beautés austères, ne serait cependant dans son ensemble qu’une fantasmagorie absurde, terminée par un plaidoyer ridicule, si elle n’enveloppait une signification historique. C’est en nous guidant par les idées générales déjà déduites, c’est en suivant l’histoire dans son cours naturel, que nous pourrons constater cette signification.

Dès qu’on admet l’introduction en Grèce d’une théocratie égyptienne assez forte pour avoir produit ces types de prêtres et de prophètes si hardis devant les rois, qui tiennent tant de place dans la tradition mythologique, — dès qu’on la conçoit assez puissante pour avoir propagé ces mystères si longtemps vénérés, et qui terrifiaient, encore les peuples à la naissance du christianisme, il faut nécessairement admettre aussi que des tribunaux religieux avaient complété ces institutions et sanctionné les préceptes. L’histoire moderne nous apprend