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capitaux à 4 pour 100, puisqu’elle allait au-devant des occasions de les placer à ce taux. D’un autre côté, le résultat de la démarche a démontré que le public n’était pas aussi affamé d’argent qu’on le suppose, puisqu’il a mieux aimé attendre deux mois que de payer un modique intérêt pour rapprocher l’heure de la jouissance.

À Francfort, on négocie le papier de commerce à des cours qui varient entre 4 et 5 pour 100 ; à Bruxelles, l’escompte s’obtient à 2 ou 2 1/2 pour 100 ; à Amsterdam, la Banque prend 3 pour 100, pendant que les banquiers se contentent souvent de 2 1/2. Ainsi le commerce des grandes places de l’Europe ne paraît pas éprouver les alarmes que l’on voudrait propager et exagérer à Paris ; il semble même que les transactions s’opèrent partout avec une grande facilité, que les ressources ne diminuent pas, que la confiance se soutient, que les choses se passent, en un mot, à peu près comme si les peuples de l’Occident avaient à traverser une situation normale.

Ce phénomène atteste la puissance de la civilisation. Sept années à peine nous séparent de l’épreuve semblable qui affligea l’Europe en 1846. Avec quelle facilité cependant ne porte-t-on pas aujourd’hui le poids des embarras et des anxiétés sous lesquels on fléchissait alors ! L’insuffisance de la récolte en 1853 a été peut-être plus générale, et pourtant le prix des grains se maintient à un taux comparativement modéré. La paix publique n’est pas troublée. La misère n’étale pas des spectacles aussi affligeans. On dirait que chaque nation, que chaque individu est plus riche en fermeté, sinon en ressources : les révolutions, en compensation du mal qu’elles font, nous ont appris à connaître nos forces et à supporter nos infirmités. En un mot, le monde se tient mieux.

Pourquoi nier, au surplus, les progrès de la puissance publique ? La vapeur et l’électricité ont enfanté des merveilles pour nous depuis sept ans. Le télégraphe électrique, circulant le long des routes et traversant les mers, annule en quelque sorte les distances pour les communications de la pensée. L’étendue des chemins de fer en exploitation est trois ou quatre fois plus considérable qu’en 1846, et les transports à bon marché nivellent les prix entre les grandes places de commerce. La marine à vapeur n’est plus le monopole des gouvernemens et crée déjà des flottes commerciales. L’agriculture sort de sa léthargie pour approprier à la production des denrées alimentaires les puissans engins de l’industrie. Le salaire s’ennoblit et s’accroît. Les capitaux se forment et s’accumulent dans une proportion inconnue jusqu’à ce jour. On calculait, en 1845, que la place de Paris, en absorbant les épargnes annuelles de la France, ne pouvait pas fournir des placemens nouveaux plus de 10 millions par mois. En 1852 et en 1853, elle en a fourni plus de 20. Telle a été, telle est encore l’abondance des capitaux, qu’elle a défrayé non-seulement les entreprises utiles, mais encore les folios, et qu’elle amnistie l’imprévoyance.

L’argent n’est donc pas plus rare à Paris que sur les places étrangères. La Banque de France ne prête pas, il s’en faut, au-dessous du taux qui a prévalu