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ruaient comme des oiseaux de proie sur ce réservoir bien rempli, et travaillaient à le vider à tout risque. De là les embarras et les périls dont le spectacle nous fut donné en 1846. En 1846, la Banque se vit en pleine paix, sous un gouvernement non contesté ; dans un pays riche et tranquille, sans autre cause occasionnelle qu’un déficit dans la récolte des grains, à la veille de suspendre ses paiemens en espèces. Les écailles tombèrent alors de ses yeux. L’irrésistible nécessité fit taire les préjugés et dissipa les illusions ; on se décida à élever de 1 pour 100 le taux de l’escompte.

Le conseil de la Banque ; gouvernement démocratique par excellence, semble avoir été jusqu’à présent tout aussi accessible que les gouvernemens despotiques à l’infatuation et à l’aveuglement. On ne l’a éclairé, dans les grandes occasions, qu’en lui faisant violence. Il fallut, en 1846, l’imminence d’une suspension des paiemens en espèces pour le déterminer à reconnaître que le loyer de l’argent ; comme le prix de toute autre marchandise, devait suivre les variations qui venaient à se manifester dans le rapport de l’offre à la demande. Sans la révolution de 1848, la Banque marchanderait encore au public une valeur de circulation qui lui était indispensable, les coupures de 100 francs. Enfin c’est l’initiative du pouvoir constituant qui a étendu le bénéfice des prêts sur dépôt aux actions et aux obligations de chemins de fer.

La Banque de France ne s’est donc pas élevée d’elle-même à la hauteur de sa mission : elle a subi, plus qu’elle ne les a provoqués, les progrès et les réformes. La force des choses l’a faite ce qu’elle est, l’arbitre et le distributeur du crédit sur toute l’étendue du territoire, en suite que, si elle n’égale pas la Banque d’Angleterre par la puissance des capitaux dont elle dispose, elle l’emporte par l’universalité de son privilège et par le nombre de ses cliens.

La seconde période de la Banque de France, la période du progrès, date de 1846. À cette époque, le faux principe de l’immutabilité de l’intérêt, déjà ruiné et déraciné par le temps, se vit emporté par la crise des subsistances. Le taux de l’escompte et des prêts fut élevé de 4 à 5 pour 100. La faculté que la Banque s’attribuait ainsi - de faire payer l’argent ce qu’il valait dans les temps calamiteux - impliquait le devoir d’en réduire le loyer aussitôt que l’horizon serait plus calme. Ces conséquences du système nouveau ne tardèrent pas à se faire jour ; dès l’année 1847, et en face d’une récolte abondante qui ramenait l’aisance dans le pays, le taux de l’escompte et des prêts sur dépôt fut réduit à 4 pour 100. en 1852, après avoir traversé les épreuves révolutionnaires, la Banque jugea le moment favorable pour aller plus loin encore : elle donna le signal de l’abaissement de l’intérêt à 3 pour 100, et mit ainsi les conditions de crédit, pour le commerce français, au niveau de celles que présentaient au commerce étranger les Banques d’Amsterdam et de Londres.

Ce régime de faveur, qui, sans éperonner trop vivement l’activité nationale, en soutenait les forces, n’a guère duré plus d’une année. Vers le milieu