tous deux, et voilà pour l’éternité, ou du moins pour tout le temps que vivra cette église, entre deux œuvres antipathiques un indissoluble mariage !
Mieux vaudrait, puisqu’il n’y a pas accord, qu’il y eût complète dissonance. Si M. Picot était resté fidèle à sa propre manière, s’il avait dit : Je ne comprends la peinture qu’avec un ciel et des nuages ; il n’y a pas de fond d’or dans la nature ; je repousse cette fiction. Je mettrai mes figures en perspective, je chercherai l’illusion, j’aurai des chérubins joufflus, un Christ assis sur la nue, sa croix de bois dans la main ; en un mot je ferai des tableaux sur mur, des tableaux qui perceront la muraille. S’il s’était bravement tenu sur ce terrain, la disparate assurément serait encore plus tranchée qu’aujourd’hui : il y aurait entre les deux moitiés de l’église ce contraste complet et non dissimulé qu’on voit dans les édifices dont les diverses portions ont été construites ou décorées à des époques différentes ; mais ce serait un parti franchement accusé. Le spectateur en penserait ce qu’il voudrait ; il ne pourrait pas du moins se plaindre d’être trompé. Ce qu’il y a de pis, c’est de lui promettre une harmonie qu’on ne lui donne pas ; c’est de chercher l’unité et de ne pas l’atteindre, c’est d’accepter les conditions, les lois de l’école traditionnelle, et de ne s’y soumettre qu’à moitié. Ainsi pourquoi ce Christ colossal ? Parce qu’il est de tradition dans les anciennes basiliques, sur les mosaïques primitives, que le Christ ait trois ou quatre fois la taille des personnages qui l’entourent. Cette façon d’exprimer la grandeur morale par la grandeur matérielle et de proportionner la taille des personnages à leur degré de sainteté, c’est le procédé des enfans, et par conséquent des peuples et des religions au berceau. D’où vient qu’à Rome, à Ravenne, sur ces murs vieux de huit ou dix siècles, ces disproportions étranges, tout en nous étonnant, ne nous révoltent pas ? D’où vient que peu à peu nous admettons ces données déraisonnables, et finissons par en ressentir une impression de respect et presque de terreur ? C’est que dans ces naïves images tout est conventionnel, rien n’est imitatif. L’impuissance de l’artiste est la condition première de l’effet qu’il produit sur nous ; l’excès de sa gaucherie nous avertit et nous empêche de hausser les épaules. Ce n’est point de la chair, ce n’est point de la vie, ce ne sont point des hommes qu’il a prétendu nous peindre : ce sont des signes représentatifs d’une idée. Ces signes, nos yeux s’y arrêtent à peine, c’est notre raison qui les perçoit, et bientôt nous laissons là les signes pour aller droit à l’idée, hors du monde des vivans, dans le champ de l’invisible et de l’infini.
Mais vous qui voulez aujourd’hui ressusciter ces traditions et qui croyez leur obéir, sachez que, pour être admis à faire de tels contresens, de telles bévues enfantines, il vous faut avant tout renoncer à