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— Tais-toi, folle, reprit Jacques ; je gage que tu as aperçu ton ombre sur le mur éclairé par la lune.

Mais comme il achevait ces mots, le bruit d’une branche morte brisée sous un pas furtif se fit entendre dans la direction indiquée, et quelque chose s’agita à l’entrée de la grange, Barmou saisit son fusil qui était appuyé au mur, et s’avança résolument vers l’objet qu’il ne pouvait bien distinguer. À son approche, il le vit clairement se mouvoir, et crut reconnaître la silhouette d’un homme qui cherchait à tourner le pignon. L’idée des incendiaires, dont la présence venait d’être signalée par de nouveaux ravages, lui traversa l’esprit comme un éclair ; il arma son fusil et cria : — Qui va là ?

L’ombre resta silencieuse, mais hâta son mouvement.

— Mille dieux ! répondrez-vous ? ou je tire ! répéta le paysan ; qui mettait en joue.

Celui auquel il s’adressait s’élança vers l’angle de la fénière, et il allait disparaître. Le coup de feu partit, mais sans rien atteindre ; la vision s’était évanouie. Cependant, au bruit de l’explosion, les buveurs réunis au cellier accoururent ; quelques mots suffirent pour les mettre au fait, et tous se précipitèrent à la poursuite du fugitif. Pierre Larroi et Abraham Chérot restèrent seuls avec Barmou, qui rechargeait son fusil. Tous deux avaient si bien mis à profit le guillonnage, que leurs jambes n’obéissaient plus qu’avec peine à l’impulsion de leur volonté. Abraham, qui tenait encore à la main son verre vide, chantonnait gravement un psaume, tandis que Larroi, le teint enflammé et les yeux injectés de sang, faisait entendre d’effroyables imprécations contre le bouteur de feu dont on venait de soupçonner la présence.

— Attrapez-le ! criait-il ; amenez-moi le brigand ! Je m’en charge. Il faut qu’il me rende mon foin, et le mazot, et les chalets des autres, ou je le guéris de la faim.

— Et de la soif, ajoutait Chérot, qui regardait son verre.

— Mais Dieu me damne ! interrompit Barmou, dont les regards se fixaient depuis un moment sur le grenier à foin ; voyez, voyez ! ne dirait-on pas que la fénière fume ?

— Et qu’elle flambe, fit Pierre ; par la vie, Jacques, tu es brûlé !

Le paysan courut en criant vers le verger, où les hommes de ronde s’étaient éparpillés à la recherche de l’incendiaire ; ceux qui se trouvaient les plus rapprochés l’entendirent et revinrent sur leurs pas, On dressa des échelles, Barmou s’élança sur la plus haute, et, aidé de François, il se mit à couper à la hache les charpentes enflammées, tandis que les autres paysans s’efforçaient d’éteindre le fourrage qui avait déjà pris feu. Ils y étaient encore occupés, lorsque le reste de la troupe arriva, traînant l’homme qu’on avait poursuivi.