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Les dangers auxquels la société des saints du dernier jour était exposée de la part de ses ennemis du dehors n’étaient peut-être pas les plus redoutables. Les divisions intestines la travaillaient plus que jamais : les schismes et les hérésies sont la plaie de toutes les religions naissantes, et nulle n’en était moins exemple que celle des Mormons. Un certain Higbee, qui parait avoir été du reste un aventurier d’assez triste espèce, était devenu un ennemi acharné du prophète, dont il avait pourtant embrassé la foi. Accusé par celui-ci d’avoir séduit plusieurs femmes et chassé en conséquence de Nauvoo, la capitale des sectaires, Higbee attisa tous les ressentimens contre J. Smith. Un docteur Foster, membre aussi de la nouvelle église, retourna contre son chef les accusations dont Bigbee avait été l’objet. Il accusait l’homme de Dieu d’avoir voulu faire de sa femme à lui son épouse spirituelle. Il fonda, sous le titre de Expositor, un journal à Nauvoo même, uniquement dirigé contre J. Smith. Celui-ci, en sa qualité de moire de Nauvoo, et assisté des aldermen et des principaux magistrats, tous Mormons, condamna le journaliste imprudent, ordonna la destruction de son imprimerie et la suppression de son journal. On en brûla tous les numéros, Foster et Law, son complice, furent obligés de fuir et allèrent se réfugier dans la ville de Carthage, où ils déposèrent leurs plaintes.

L’aventure de Foster et celle de Higbee ne faisaient que confirmer davantage la population de l’Illinois dans l’opinion peu favorable qu’elle avait des nouveaux sectaires. Le reproche de polygamie et de mauvaises mœurs, qu’on leur faisait depuis bien longtemps, trouvait là une très claire justification. Les autorités de Carthage prirent donc la défense des persécutés, et Foster et Law ayant déposé une plainte en règle contre J. Smith, son frère Hyrum et seize autres personnes qui avaient pris part à son abus d’autorité contre les rédacteurs de l’Expositor, on intima l’ordre au maire de Nauvoo et à ses coaccusés d’avoir à se présenter devant le tribunal de Carthge. Les Mormons, qui se sentaient plus puissans que jamais et qui avaient fortifié leur ville, refusèrent d’obtempérer à la sommation des autorités du comté, et déclarèrent leur intention de combattre jusqu’à la dernière extrémité plutôt que de livrer leur prophète.

Lorsque la conduite des habitans de Nauvoo fut connue dans l’Illinois, elle produisit une agitation générale. Les uns soutenaient les sectaires ; les autres, et c’est le plus grand nombre, se prononçaient énergiquement contre eux. Une lutte pareille à celle dont le Missouri avait été le théâtre était à craindre. Le gouverneur de l’état, M. Ford, craignant l’effusion du sang, obtint que les deux frères Smith se rendraient volontairement devant la cour du comté, et il donna sa propre parole, il engagea l’honneur de l’état qu’il ne serait rien fait d’illégal contre les Mormons et leur chef. À cette condition, Nauvoo devait abandonner son attitude hostile, et la légion qu’elle entretenait pour sa défense devait accepter le commandement d’un officier de l’état.

La patience, la parfaite modération dont J. Smith faisait preuve dans toutes ces conjonctures sont vraiment remarquables. Jamais il n’avait mieux paru convaincu de la divinité de sa mission que depuis qu’il était en butte de tous côtés, au dedans et au dehors, à des attaques contre sa vie et sa réputation. Des visions, des apparitions d’anges venaient fortifier son courage et lui