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gouverneur du Missouri rendit quelque confiance aux sectaires, et au lieu de continuer leurs préparatifs de départ, ils songèrent à organiser une troupe pour se défendre ; mais la menace des tribunaux ne produit, comme on sait, pas grand effet aux États-Unis : les citoyens y ont peu de respect pour les juges qu’ils font eux-mêmes. Les exhortations de M. Dunklin n’eurent donc d’autre résultat que de faire donner le sac par les anti-mormoniens à la Nouvelle-Sion, ou, comme on appelait généralement cette ville, à Independence. Une lutte assez chaude s’engagea. La milice, commandée par le lieutenant-gouverneur Boggs, vint prêter main-forte aux anti-mormoniens. L’exaspération devint générale, et la colonie de J. Smith fut définitivement obligée de vider son territoire au plus vite. La fuite des Mormons rappela un peu celle des Israélites au milieu du désert. Ils emportèrent avec eux tous les biens, tous les meubles, toutes les provisions qu’ils purent réunir, et ils allèrent çà et là chercher un refuge, les uns, et c’était le plus grand nombre, dans le comté de Clay, les autres dans celui de Van-Buren, plusieurs dans celui de Lafayette ; mais, moins heureux que les premiers, les fugitifs de ces deux dernières catégories furent repoussés bientôt de leurs asiles.

Les malheurs des Mormons excitèrent dans les parties du Missouri qui étaient restées étrangères à l’effervescence de la population du comté de Jackson une sympathie universelle. L’attorney-général du Missouri écrivit que, si la nouvelle communauté voulait rentrer dans la possession de ses biens, il lui enverrait des forces pour l’appuyer. Il lui proposa même des armes dans le cas où elle voudrait s’organiser en milice. Cependant le prophète, de retour à Kirtland après son excursion en Canada, écrivait à son troupeau dispersé que les maux qui le frappaient étaient une punition envoyée par le ciel pour leurs fautes, leurs discordes, leur manque de soumission à ses décrets. Il engageait les Mormons à acheter dans le comté de Clay des terres qu’ils cultiveraient en attendant qu’ils laissent rentrer dans Sion, que Dieu avait formellement désignée comme l’héritage de ses saints. Les Mormons suivirent les conseils de leur chef, et jetèrent dans le comté de Clay les fondemens de deux villes, Far-West et Adam-on-Diahman ; mais ses prédictions sur leur retour à Indépendance ne se réalisèrent pas, et Dieu ne vint point en personne, comme il leur avait été annoncé, les faire rentrer dans la terre de promission.

J. Smith se décida à partir pour la nouvelle colonie du comté de Clay, afin d’en animer les travaux par sa présence. Il organisa une caravane, le 5 mai 1834, et prit le chemin de l’Illinois. Rien n’offrait un coup d’œil plus étrange que la petite armée mormonienne qui allait rejoindre ses frères du désert. Les jeunes gens étaient armés ; suivaient les anciens et les différens membres du sacerdoce ; derrière eux était une longue suite de chariots remplis d’ustensiles et d’instrumens de toute espèce. On marchait à petites journées. Tous les soirs, on dressait les tentes, et au son de la trompette on s’agenouillait devant le Seigneur. Le matin, la prière se faisait de même, puis l’on reprenait sa marche à travers des contrées encore à peine peuplées. Cette singulière expédition attirait les regards de tous ceux qui la rencontraient ; mais les Mormons, qui avaient tant de fois bu à la coupe de la persécution, se gardaient bien de se faire connaître. Arrivés au bord de l’Illinois, ils le traversèrent