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église les divisions, les schismes. Déjà, à son retour du Missouri, un dissentiment s’était élevé entre lui et un de ses disciples les plus ardens, Sidney Rigdom. Ce disciple ambitieux aspirait à l’autorité suprême dans la communauté, et le prophète n’avait pu apaiser le dissentiment qu’en lui donnant la charge fort importante de caissier de la banque mormonique ; car M. Smith, qui, en sa qualité d’Américain, entendait fort bien les affaires commerciales, avait fondé à Kirtland, pour faire, aller sa communauté, un comptoir, un entrepôt de marchandises et un moulin. Toutefois Rigdom n’était pas le seul qui fût pris de ces tentations de Lucifer. Un autre, nommé E. Maclellan, qui avait trouvé assez facile le procédé de révélation dont Smith faisait usage, et qui avait plus d’instruction que Rigdom, voulut se mettre à parler au nom du ciel. Un troisième, nommé Ezra Booth, dénonça le prophète comme un imposteur et un homme pervers, et mit en danger sa réputation et ses jours. Enfin des obstacles d’autre sorte entravèrent momentanément l’exécution des projets du théosophe. Il était temps de quitter l’Ohio, qui menaçait de devenir une terre de malédiction, et autant pour échapper à ses persécuteurs que pour aller savoir ce qu’était devenu le troupeau de Martin Harris, laissé dans le Missouri, J. Smith partit pour Louisville, toujours menacé sur sa route par ses ennemis, et obligé de recourir à la protection du capitaine du steamer sur lequel il s’était embarqué.

Smith arriva à la Nouvelle-Sion le 20 avril 1832, et eut la satisfaction, peut-être fort inattendue, de trouver dans l’état le plus florissant le champ qu’il avait semé à la hâte. Le grain avait levé au centuple. Il fut reçu avec enthousiasme par les saints, qui attendaient avec impatience son arrivée et qui le proclamèrent leur prophète, leur seigneur, le grand-prêtre de la nouvelle église. En son absence, et conformément à un ordre que Dieu avait donné par sa bouche à son départ, une imprimerie avait été montée, et un journal mensuel créé en faveur de la foi mormonique par W. W. Phelps. Il avait pour titre l’Étoile du soir et du mutin [Evening and morning Star). Smith forma aussitôt le projet de fonder un journal hebdomadaire, qui prit le litre de l’Avertisseur du haut Missouri [Upper Missouri Advertiser). Ces journaux inondèrent le pays et les territoires ou états voisins des déclamations inspirées de Smith et de ses apôtres. Grâce à cet actif moyen de publicité, le nombre des Mormons ne tarda pas à s’élever à deux ou trois mille, la plupart habitans du Missouri.

Toul prospérait donc dans la Nouvelle-Sion, et ce n’était plus là que la présence du prophète devenait le plus nécessaire. On avait laissé le mormonisme dans une position assez critique au milieu des populations de l’Ohio. Smith dut donc retourner à Kirtland pour veiller à son moulin, à son entrepôt, à sa ferme, dont il avait plus que jamais besoin pour faire face aux nécessités inséparables d’une colonie naissante. Le départ du prophète faillit devenir funeste à la communauté qu’il croyait si définitivement constituée dans le Missouri. Les nouveaux sectaires étaient vus de très mauvais œil par les habitans de cet état. Des gens d’assez médiocre réputation qui s’étaient agrégés à eux n’avaient fait qu’accroître les préventions à leur égard. Mille accusations circulaient sur leur compte. On répétait qu’ils ne reconnaissaient pas la propriété, et qu’ils admettaient non-seulement la communauté des biens mais encore celle des