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L’autorité du monarque est dans l’ordre spirituel encore plus nominale que dans l’ordre temporel, et le pouvoir appartient en réalité aux évêques et aux grands dignitaires : telle est l’origine de cette liberté, de cette vie intérieure qui, sortie de l’église d’Angleterre, se développe dans l’église d’Écosse et atteint ses dernières limites aux États-Unis. En Écosse, l’église presbytérienne (kirk of Scotland) présente comme en Angleterre une hiérarchie aristocratique ; seulement l’aristocratie est, dans l’église comme dans le pays, un peu plus mitigée : elle ne constitue plus une caste et tire son origine de l’élection. L’autorité appartient aux synodes composés des députés des presbytères, et ces députés ont des ministres qui ont été librement choisis par les congrégations. Le presbytérianisme écossais renferme donc déjà en germe les élémens du républicanisme religieux, et de la séparation qu’il admet entre l’église et l’autorité temporelle on a été conduit naturellement à poser en principe que l’état ne doit s’immiscer dans aucune question d’organisation religieuse.

Ce furent ces idées que les presbytériens persécutés portèrent au-delà des mers, dans la Nouvelle-Angleterre. Elles furent encore développées et fortifiées par les sectes dissidentes qui se multiplièrent, au XVIIe et au XVIIIe siècles, dans le sein du protestantisme anglican. Le fondateur des quakers, George Fox, adopta, comme principe fondamental de son église, que l’autorité civile ne devait exercer aucun droit sur la croyance religieuse. À la suite des quakers, les indépendans, les congrégationalistes, les universalistes, les baptistes, une partie des méthodistes, proclamèrent ce même principe de la séparation des églises et de l’état. La liberté religieuse, qui n’existait que d’une manière incomplète dans la Grande-Bretagne, où les dissidens étaient simplement tolérés et où la suprématie restait à l’église anglicane, devint, comme la liberté politique, complète aux États-Unis.

Peuplé d’abord presque exclusivement de dissidens appartenant aux communions les plus diverses, ce pays nouveau consacra dans sa constitution ce qu’on pourrait appeler l’autonomie des cultes. La religion fut abandonnée à la conscience privée, ses manifestations furent réglées par des conventions et des associations particulières. Quand des hommes d’une même foi se trouvent en nombre suffisant pour fonder une église, ils peuvent se réunir librement, se choisir un pasteur, qu’ils font souvent même consacrer par des ministres d’une secte différente de la leur. Avec l’aide de quelques théologiens, ils se formulent une profession de foi, puis s’agrègent, comme ils l’entendent, à d’autres communautés religieuses déjà existantes. Cette indépendance des églises devient en Amérique de plus en plus absolue. Les liens hiérarchiques qui subsistaient dans les sectes primitives se relâchent ou disparaissent dans les nouvelles. Ainsi, tandis que les anciens indépendans donnaient à leurs synodes l’autorité législative, les congrégationalistes n’en ont plus fait que des comités consultatifs, regardant chaque église comme un corps organisé et muni de tout ce qui est nécessaire pour remplir sa mission.

Tel est le mouvement dont les dernières conséquences se produisent aujourd’hui sous une forme si étrange dans les petites communautés dont il nous reste à retracer l’histoire. L’esprit de séparatisme montre ainsi sa puissance. Son action ne se borne pas aux États-Unis ; elle se fait sentir en Écosse