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entre elle et lui subsister la barrière du protestantisme. Tant que cet obstacle n’était pas abattu, il ne prenait pas, à ce qu’il semble, d’engagement définitif. Ou il espérait que l’exemple de Henri IV payant le trône d’une abjuration déciderait ses arrière-petits-fils, ou il se ménageait jusqu’au dernier moment une objection insurmontable, un moyen de tout rompre au besoin. Mais s’il ne voulait pas positivement la restauration, que faisait-il ? Sa politique ne marchait-elle pas vers un point où elle ne pourrait plus avoir d’autre issue ? Il n’est pas douteux que la reine ne fut de plus en plus amenée par ses scrupules, ses regrets et ses antipathies, à désirer, pour son frère, la couronne après elle. Lui-même, lorsqu’elle mourut, l’affirma dans sa proclamation. L’héritier protestant avait été journellement repoussé plus avant dans le sein du parti whig. Chaque jour, Bolingbroke s’était éloigné de lui davantage, à mesure qu’Oxford s’en rapprochait, tout le monde savait que les jours de la reine étaient comptés, et Bolingbroke travaillait à se rendre, comme on dit, impossible avec la royauté hanovrienne. Lorsque enfin Oxford aurait rompu avec lui, lorsque, avec toute sa clientèle, il serait allé grossir l’opposition, déjà si forte, lorsque sa retraite serait venue donner contre le ministère un nouvel aliment aux défiances nationales, quel asile devait rester à Bolingbroke ? Faut-il le supposer absolument sans prévoyance, livré aux caprices et aux imprudences d’une mauvaise humeur aveugle et puérile ? On sait qu’il prétendait avoir un plan ; la mort soudaine de la reine a déconcerté, dit-il, toutes ses mesures. Or la première de ces mesures était la réorganisation de l’armée, une réorganisation telle que l’année ; échappât à l’influence de Marlborough pour passer sous l’autorité du duc d’Ormond, jacobite déclaré, et qui le prouva les armes à la main. Qu’allait donc devenir Bolingbroke, entouré de jacobites tels qu’Ormond, Wyndham, Bromley, Mar, Atterbury, brouillé sans retour avec les whigs, avec les hanovriens, avec les amis d’Oxford, incompatible avec le nouveau souverain, avec son parti, avec le mouvement d’opinion qui suivrait son avènement, s’il ne méditait pas, au moins comme un recours possible, l’appel d’un autre candidat à la couronne et une révolution dans le gouvernement ? Bolingbroke était, dans certaines hypothèses, décidé à servir les Stuarts, ou il n’était qu’un étourdi. Ce ne sont pas ses ennemis seulement, intéressés, comme De Foe, à le calomnier, ce sont ses amis, c’est Gautier, d’Iberville, Torcy, les confidens des Stuarts, qui ont dit qu’il était pour eux, parce qu’ils l’ont vu jouer un jeu à n’avoir pas d’autre chance de salut. Qu’il les trompât dans une certaine mesure, qu’il se tint libre de tout engagement irrévocable, qu’il voulût rester jusqu’au dernier moment maître de se décider suivant les circonstances, je le crois volontiers : mais je ne doute pas que la trahison