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la guerre si nécessaire à son pays, Bolingbroke, qui ne défend pas absolument les conditions du traité d’Utrecht, s’attache, dans ses écrits, à prouver que soit en 1706, soit en 1709, il eût été facile à l’Angleterre de conduite une paix beaucoup plus avantageuse, et il établit cette opinion avec beaucoup d’art et de très heureux développemens. Quand cette sorte d’apologie parut avec les Lettres sur l’Histoire dans les couvres complètes de Bolingbroke, en 1754, le vieux lord Walpole de Wolterton, le frère du ministre, l’oncle Horace, tant moqué par le neveu Horace dans ses amusantes lettres, diplomate capable, qui avait été attaché à l’ambassade de lord Townshend à La Haye, entra dans une grande indignation, et il entreprit de réfuter méthodiquement Bolingbroke, de démasquer, ce sont ses termes, ce pervers imposteur. Il écrivit onze lettres, qui ne parurent qu’après sa mort. Le style est médiocrement littéraire, mais les raisonnemens sont clairs et les faits précis. Il prouve très bien qu’il y avait d’assez bonnes raisons pour ne pas faire la paix de 1706 à 1709. Cependant on peut tenir pour accordé que, soit une politique systématiquement guerrière, soit une défiance aveugle de la sincérité de la France, nous ont épargné la terrible paix que l’Angleterre pouvait exiger alors. Mais indépendamment de l’argument ad hominem de lord Walpole, qui observe qu’en 1706 Harley, alors ami inséparable de Bolingbroke, était secrétaire d’état, pourquoi, si la paix à de meilleures conditions était faisable en 1706 ou 1709, ne l’était-elle plus en 1710 ? Les dernières victoires de Marlborough avaient-elles empiré la condition de l’Angleterre ? Le traité d’Utrecht n’est assurément pas un traité désavantageux pour elle. À la distance des événemens, on peut, avec M. Macaulay, l’approuver encore dans son ensemble. Cependant voici comment il a été jugé par deux autorités irrécusables : l’une est Bolingbroke, l’autre Torcy. Le premier dit dans sa huitième lettre : « Je ne serais pas surpris si vous pensiez que la paix d’Utrecht ne répondait pas aux succès de la guerre et aux efforts qu’elle nous avait coûtés. Je le trouve moi-même, et j’ai toujours avoué, même quand elle se faisait ou qu’elle était faite, que tel était mon avis. Ayant fait une folie heureuse, nous devions en tirer un parti plus avantageux. » Le second, dans ses mémoires, parlant le langage d’un bon Français et d’un bon ministre, dit que la paix d’Utrecht fut « une paix heureuse et solide, avantageuse à la France par la restitution des principales places qu’elle avait perdues pendant le cours de la guerre, par la conservation de celles que le roi offrait trois ans auparavant ; glorieuse par le maintien d’un prince de la famille royale sur le trône d’Espagne ; nécessaire par la perte fatale que le royaume fit, deux ans après, du plus grand des rois qui jusqu’alors eût porté la couronne. » Assurément tel n’était pas le dénoûment que devait nous faire craindre le