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avec tout le monde. Ainsi ils commencent par déclarer aux Hollandais que la paix n’est acceptable que demandée par l’ennemi, et au même moment ils font faire à la France une offre clandestine. Depuis au moins l’année 1703, il était admis en principe que le premier objet de la guerre était l’exclusion des Bourbons du gouvernement de l’Espagne et des Indes. Le parlement en avait renouvelé la déclaration à la fin de 1711. On pouvait revenir là-dessus ouvertement, en montrant, par exemple, aux alliés qu’à la manière dont tournait la guerre dans la Péninsule, il y avait des raisons pour ne pas rester inflexible sur ce point. Au lieu de donner ces raisons et de changer franchement cette base de la politique, on eut l’air de la maintenir, on continua le même langage avec le parlement, avec la Hollande, avec l’Autriche ; mais on n’en fit pas moins signer à la France des préliminaires de paix où le titre de Philippe V était, accordé. Puis, sous prétexte que cette signature n’engageait que la France, qui pensait, de son côté, avoir obtenu une concession définitive, On donna pour instruction aux plénipotentiaires de tenir à l’expulsion des Bourbons d’Espagne, ce qui était tromper les alliés par l’apparence d’une fermeté qu’on n’avait pas et les maintenir dans une voie où l’on ne pouvait plus les appuyer. La même duplicité présida à toute la diplomatie et bientôt à la conduite des opérations militaires. On feint la guerre et l’on pratique la paix ; on étude, on évente la victoire ; on se cache de ses alliés et l’on se concerte avec ses ennemis ; on décourage les premiers dans leur insistance, on encourage les seconds dans leur résistance.

Cette altitude, cette tactique est à peu près sans exemple dans l’histoire de la diplomatie. Enfin que faut-il penser du traité en lui-même tel qu’il sortit de cette longue et singulière élaboration ? On ne saurait complètement répondre à cette question sans considérer l’état entier de l’Europe. Nous nous bornerons à une appréciation très générale. Il nous en coûterait de reprocher, même par hypothèse, au ministère anglais de 1710 de n’avoir pas réalisé le vœu qu’il prête à Marlborough d’aller dicter la paix dans les murs de Paris, ou le désir attribué au prince Eugène d’entrer la torche en main dans le palais de Versailles. Nous sommes dispensé de nous associer à ces rêves insolens de la victoire : mais nous concevons cependant la question qu’en 1715, dans un souper de Paris, les ducs de La Feuillade et de Mortemart adressaient à lord Bolingbroke : « Vous auriez pu nous écraser dans ce temps-là (1709) ; pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? » Il répondit, c’est lui qui le raconte : « Parce que dans ce temps-là nous avons cessé de craindre votre puissance. » Cette réponse, qui est équivoque, si elle n’est impertinente, n’a au fond nul sens dans la bouche d’un ministre qui a cru la cessation de