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que Marlborough, que même Godolphin, n’ont pas négligé de faire parvenir à la cour du prétendant les protestations d’un dévouement éventuel. Bolingbroke avoue avec une certaine sincérité que les deux partis, whig et tory, étaient devenus des factions. L’ambition, la peur, la nécessité, la vengeance, les conduisaient chacun à tout sacrifier à leur victoire. Les whigs, selon lui, condamnaient leur pays à une guerre éternelle dans l’intérêt de leur domination. N’a-t-il pu dans son parti se trouver des hommes prêts à négliger l’honneur de leur pays pour obtenir une paix qui assurât leur pouvoir, et si ce pouvoir devait tomber par l’avènement de la maison de Hanovre, ces hommes n’ont-ils pu méditer de lui fermer les avenues du trône ? De part et d’autre, n’en était-on pas arrivé à considérer connue solidaires, comme identiques, le bien public et le bien du parti ?

Ces réflexions enlèveraient à l’acte pour lequel fut condamné Bolingbroke les proportions du crime. Je manquerais pourtant à mes convictions, si je le présentais comme un de ces actes indifférens que les partis seuls incriminent, et qui ne sont jugés que par le succès. À mon avis, Bolingbroke, jugé comme ministre, était coupable.

Il faut distinguer deux questions : y a-t-il eu trahison dans les négociations pour la paix ? et la paix faite, y a-t-il eu trahison envers la succession protestante ?

Pour innocenter Bolingbroke négociateur, on cite une anecdote. Un jour il vit, au temps de leurs conférences, l’abbé Gautier laisser sur sa table, en sortant de chez lui, une lettre à son adresse cachetée aux armes d’Angleterre. Il en devina sur-le-champ l’origine, rappela Gautier, l’interrogea sévèrement, obtint un aveu, et lui signifia que, s’il était reconnu pour l’intermédiaire d’une telle correspondance, il quitterait le royaume dans les vingt-quatre heures. Nous admettons le fait ; mais si Bolingbroke, à cette époque, eût servi les Stuarts, il l’eût fait d’une manière tacite, par une sorte de sous-entendu entre les Français et lui ; jamais il ne se serait compromis par une infraction matérielle de la loi de l’état. Il était trop avisé pour correspondre avec les Stuarts. Nous ajouterons que rien ne prouve d’ailleurs qu’en négociant la paix, leur intérêt l’ait jamais conduit. C’était à la vérité les servir indirectement que de ménager Louis XIV et de mettre un terme à une guerre qui grandissait le nouveau gouvernement de l’Angleterre ; mais les ministres avaient pour faire la paix des motifs plus généraux et des motifs plus personnels. Le temps de la politique pacifique vient naturellement après la victoire, et leur tort n’est pas de l’avoir adoptée, mais de ne s’être pas scrupuleusement demandé à quelles conditions cette politique était bonne, et d’avoir dès lors poursuivi la paix pour elle-même, quelle qu’elle fût, quoi qu’elle coûtât. Leur premier abandon a été celui de toute loyauté