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XVI

Bientôt des pensées plus sérieuses encore que des ressentimens ou des regrets durent agiter son esprit : le pouvoir passait aux mains de ses ennemis. L’accusation de trahison avait été le thème habituel de l’opposition. N’eût-il nourri aucun dessein contre les lois et ses sermens, il ne pouvait ignorer quelles apparences suspectes s’élevaient contre lui, et l’usage des partis n’était pas alors de dédaigner les simples apparences ni d’épargner les vaincus. Il avait vu Oxford, fier de sa récente disgrâce, s’empresser d’aller avec une sérénité affectée à la rencontre du nouveau roi ; lui-même il avait cru de sa prudence ou de son devoir d’assister au couronnement. Mais la presse commençait à gronder ; celle qui le défendait, qui du moins attaquait ses adversaires, n’était pas la moins violente. Elle irritait la haine et provoquait les vengeances ; elle appelait le péril, au lieu de le conjurer. Un libelle, du moins le gouvernement le désignait ainsi, avait été publié sous le titre d'Avis anglais aux francs tenanciers de l’Angleterre. On l’attribuait à la plume de son ami l’évêque de Rochester, et cet écrit semblait dicté par la haine contre le nouveau roi et sa maison.

Bolingbroke assure que dans les premiers momens il n’y avait pas de jacobites, que du moins il ne s’en montrait pas ; mais il convient que bientôt la masse des tories tourna les yeux vers le prétendant, et que même, au commencement de l’année suivante, il reconnut à quelques signes l’existence d’un projet d’entreprise en faveur de sa cause. Seulement il impute ce retour d’une opinion d’abord découragée aux mesures violentes du gouvernement, et il accuse les whigs d’avoir créé le complot en le supposant, d’avoir suscité des jacobites en traitant comme tels tous leurs ennemis. Cependant, de son aveu même, quelques-uns de ses amis se jetèrent dès l’abord dans une vive opposition, et l’on peut douter qu’une partie des tories ne fût pas un peu dès la veille ce que, selon lui, ils devinrent le lendemain. Il est vrai que bien que George Ier eût annoncé l’intention de ne point se montrer exclusif dans le choix de ses serviteurs, une fois en Angleterre (18 septembre 1714), la force du courant l’emporta, et son avènement fut le triomphe du parti whig, destiné à gouverner au moins pendant deux règnes. Le parti opposé n’avait que trop préparé cette réaction, ses fautes et ses revers le condamnaient à la subir. Il avait montré à ses adversaires comment on abuse de la victoire. On devine d’avance quels furent les nouveaux ministres : les noms de Cowper, Somers, Sunderland, Wharton, Nottingham, Townshend, Stanhope, se présentent sur-le-champ à l’esprit. Il n’y eut point de lord trésorier ; la trésorerie fut mise en commission sous la présidence de Halifax,