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à n’être pas écrasés, et cela suffit pour empêcher qu’on ne le soit… J’ai tout perdu par la mort de la reine, excepté mon énergie d’esprit, et je vous proteste que je la sens s’accroître en moi. Les whigs sont un tas de jacobites, voilà quel sera le cri dans un mois, si vous voulez. » - On voit dans la réponse sérieuse et réfléchie du docteur qu’il ne partageait pas ces espérances et ne lui laissait d’autre rôle que celui de chef du parti de l’église. « Nous avons certainement plus de têtes et de bras que nos adversaires, mais il faut reconnaître qu’ils ont de plus fortes épaules et de plus fermes cœurs. Je soupçonne seulement que nos amis, j’entends le vulgaire du parti, sont devenus trimmers pour le moins, et que le cri commerce et laine.[1], opposé au cri Sacheverell et l’église, a fort refroidi leur zèle. » Sans aucun doute, au premier moment, une partie des tories espérèrent qu’ils trouveraient leur place dans le nouvel établissement, et beaucoup durent se prévaloir de ne l’avoir pas directement attaqué. Pour Bolingbroke, il vit bientôt qu’il n’était qu’au début de ses épreuves.

Ce ne fut pas la moins dure assurément que l’obligation de remplir son office de secrétaire d’état sous les ordres du conseil de régence. Conformément à l’acte de 1705, ce conseil se composait de dix-huit lords de justice désignés d’avance par l’électeur de Hanovre dans un instrument secret confié en triple expédition aux mains de trois dépositaires, et la plupart de ces membres se trouvèrent être pris parmi les plus grands adversaires de Bolingbroke. Addison était secrétaire du conseil ; mais comme Bolingbroke conservait, jusqu’à ce que le roi se fût prononcé, le titre et les sceaux de secrétaire d’état, il en remplit les fonctions apparentes pendant un mois sous les ordres d’un conseil qui agissait, disait-il, comme aurait pu le faire le saint-office. On lui infligeait l’humiliation d’attendre chaque jour à la porte de la salle où délibérait la régence, sans être admis aux délibérations, et pour donner ensuite à quelques actes la forme officielle qu’il pouvait seul leur donner. Il était obligé de remettre dans les mains d’Addison toutes les dépêches qui lui étaient adressées. Enfin, au bout d’un mois, un ordre vint du Hanovre, qui le remplaçait par lord Townshend, et l’ordre fut exécuté sans ménagement. (31 août v. s.) « La manière dont j’ai été congédié, écrivait-il, m’a bien affecté au moins deux minutes. » Il partit pour la campagne. Là, il reçut avis de revenir à Londres pour assister à la remise des sceaux de son office. Comme ses papiers les plus importans avaient été mis en sûreté par son secrétaire, il s’excusa, mais demanda l’honneur de baiser la main du roi. Il fut dédaigneusement refusé.

  1. Les préjugés économiques froissés par les stipulations commerciales de la paix d’Utrecht avaient modifié les dispositions des tories.